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LIEU

La notion de lieu est peut-être l'une des plus polysémiques de la langue française. Une analyse de ses emplois dans les sciences et la philosophie permet de différencier deux grandes familles de sens, proches ou éloignées selon les critères utilisés.

Un premier ensemble d'acceptions de la notion de lieu vise à cerner les caractères propres de celui-ci au sein de cette autre abstraction qu'est l'espace géométrique. Cette façon de faire trouve ses racines d'une part chez Aristote (Physique, livre IV), qui voyait dans le lieu (topos) une condition préalable à l'existence de toute chose, et d'autre part dans la géométrie euclidienne. L'un de ces caractères est la position. Dans la géométrie classique, le lieu est tout point de l'espace que l'on peut caractériser par des valeurs qui le positionnent dans l'étendue. L'archétype des valeurs de positionnement correspond aux coordonnées géométriques terrestres, latitude et longitude, par lesquelles la singularité d'un point à la surface de la Terre peut être rapportée à deux mesures d'angle. Un autre de ces caractères est la situation. Cette notion est déjà très présente chez Descartes : « “Être en tel lieu” signifie être situé de telle façon à l'égard de quelques autres choses » (Principes de la philosophie, 1644). Conçues de la sorte, les qualités du lieu seraient d'abord et avant tout rapportées à la proximité et aux relations qu'il entretient avec d'autres lieux.

Issue de la pensée mathématique, cette conception des lieux, infiniment nombreux et relativement équivalents, a irrigué les sciences de l'Univers et de la nature, mais aussi une branche de la géographie, l'analyse spatiale. Cette dernière se préoccupe d'identifier les lois de distribution des phénomènes naturels et humains à la surface de la Terre. Pour les sciences qui se réfèrent à l'espace géométrique comme espace sur lequel se projettent les faits naturels ou sociaux, le lieu est conçu comme emplacement de ces choses, et pensé comme l'intersection de champs spatiaux qui coexistent et parfois interagissent entre eux : ainsi, un lieu quelconque peut être étudié du point de vue des champs politique, économique, résidentiel, récréatif dans lesquels il s'insère.

Un autre ensemble d'acceptions de la notion part du principe que l'individualisation du lieu est un phénomène subjectif, individuel ou social. Le lieu participe alors d'une mise en ordre ou d'une expérience du monde dont il est un instrument et une modalité. Ce sont la littérature, la philosophie existentielle et les sciences sociales contemporaines qui ont le mieux rendu compte de cette conception.

On peut évoquer dans cette catégorie le lieu de l'expérience phénoménologique. Le lieu de Martin Heidegger conditionne la possibilité même d'habiter la Terre (Être et Temps, 1927). C'est lui qui procure un sens au fait d'être quelque part. C'est le lieu d'une relation lieu/sujet qui fait que l'un et l'autre s'instituent mutuellement.

On peut également placer dans cette catégorie le lieu entendu comme cadre symbolique de l'interaction sociale. La nature symbolique de ce type de lieu veut qu'il soit doté d'une existence indéniablement matérielle et concrète, mais aussi d'une capacité à désigner le collectif qui l'identifie. Ainsi, quantité de travaux de disciplines diverses ont montré dans quelle mesure des collectifs humains ont pu et peuvent encore se penser en fonction de lieux que souvent ils ont façonnés et dont toujours ils attendent qu'ils leur renvoient une image d'eux-mêmes : une communauté rurale, un groupe d'habitués d'un site sportif de nature, les habitants d'un quartier populaire, etc. Le lieu symbolise alors le [...]

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Place de la République, Paris, 2015 - crédits : onickz/ Shutterstock.com

Place de la République, Paris, 2015