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BRIK LILI (1891-1978)

Le mot « muse » recouvre une situation de nos jours difficilement soutenable. C'est pourtant celui qui vient à l'esprit lorsque l'on évoque Lili Brik. Encore s'agirait-il d'une muse de type nouveau, qui ne s'évanouit pas sitôt le poème écrit. Lili Brik fut l'inspiratrice de Maïakovski, et aussi le meilleur défenseur de sa mémoire. Jusqu'à son suicide (le 4 août 1978), cette femme aux os menus sut livrer des combats homériques contre les retoucheurs officiels du portrait du poète.

C'est en 1915 qu'Elsa Kagan – qui n'est pas encore Triolet – présente sa sœur Lili à Maïakovski. Un contemporain trace de Lili ce portrait : « Elle a la tête grande [...], elle est belle, légère, veut être danseuse. Elle aime les objets, les boucles d'oreilles en forme de mouches dorées, cette ravissante bimbeloterie familière à l'humanité depuis si longtemps. Elle sait être féminine, capricieuse, fière, futile, inconstante, amoureuse, intelligente, tout ce qu'il est possible d'être. C'est ainsi que Shakespeare peignait les femmes. »

Née à Moscou, fille d'un juriste et d'une musicienne, Lili est mariée à Ossip Brik depuis 1912. Il s'enthousiasme à la lecture d'un poème de Maïakovski, l'imprime à ses frais, devient son ami pour la vie. Ces trois êtres sont désormais unis par des liens qui défient toutes les interprétations vulgaires. En 1916, Lili et Maïakovski échangent deux anneaux portant leurs noms gravés et l'inscription L.U.B. (en russe, le début des mots « j'aime »). Jusqu'à ce jour d'août 1978, les anneaux n'ont plus quitté une chaîne d'or à son cou.

Il faut donner acte à l'État soviétique de son respect des dernières volontés du poète avant son suicide (le 14 mars 1930) : « Camarade gouvernement, ma famille ce sont Lili Brik, maman, mes sœurs et Veronika Polonskaïa. Si tu leur rends la vie possible, merci. » La vie de Lili Brik sera « possible », l'existence matérielle étant à peu près assurée. Quant aux chagrins, elle s'en charge. Elle aime le général Vitaliy Primakov, dont elle partage l'existence. Il est fusillé comme « traître », en prélude aux procès de Moscou. Bien des années plus tard, elle pleure encore de l'avoir parfois cru coupable.

De son pays en proie à l'histoire, Lili Brik a tout connu, depuis l'exaltation bouleversante des années 1920 jusqu'à la chape de plomb sur les consciences. Aux côtés de Brik, fin lettré, et de Maïakovski, génial forgeron de métaphores, elle a partagé, avant et après Octobre, ces années de haute tension intellectuelle. Leurs amis ont nom Bourliouk, Pasternak, Jakobson, Chklovski, Erdman, Rodtchenko, Meyerhold, Eisenstein... Elle choisit de ne pas abandonner Moscou, pour souffler sur la braise de ces années de feu, pour entretenir une vraie flamme, vacillante, en l'honneur de Maïakovski. Grâce à elle, il n'a pas été complètement enseveli dans le marbre.

Staline s'était entiché de lui, le sacrant, en 1936, « meilleur poète de l'époque soviétique ». En 1958, une statue gigantesque est érigée à Moscou : l'auteur de La Punaise bombant le torse vers l'avenir radieux. Après qu'eut été fermée la petite bibliothèque-musée aux dimensions humaines qui perpétuait sa mémoire, on a édifié un musée monumental. Lili Brik ne mit jamais les pieds dans ce mausolée (« C'est une station de métro... », disait-elle). Mais c'est elle qui recevait les étudiants et les chercheurs, venus du monde entier, elle qui leur racontait l'immense espoir de sa jeunesse, quand elle tournait dans Enchaînée par le film (1918), quand elle était secrétaire de rédaction de la revue LEF (« Front gauche de l'art »), d'où tant d'idées neuves jaillissaient... Lili Brik ne se suffit[...]

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Écrit par

  • : critique dramatique et chef du service culture-media du journal L'Humanité, chargé de cours à l'université de Nanterre "arts et spectacles".

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Autres références

  • MAÏAKOVSKI VLADIMIR VLADIMIROVITCH (1893-1930)

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    • 1 média
    ...impatiente rythme tout l'univers poétique de Maïakovski, en particulier les longues pages exaltées qu'il consacre à l'épreuve d'amour et que domine la figure de Lili Brik (La Flûte des vertèbres, J'aime, De ceci, c'est-à-dire à propos de l'amour). L'amour est un ouragan, une « tempête qui disperse affaires...