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LILLEHAMMER (JEUX OLYMPIQUES DE) [1994] Contexte, organisation, bilan

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Depuis son élection à la présidence du C.I.O. en 1980, Juan Antonio Samaranch multiplie les démarches pour rénover le mouvement olympique, ce qui passe notamment par une augmentation substantielle des revenus des Jeux. Le Comité tient sa quatre-vingt-onzième session à Lausanne du 12 au 18 octobre 1986, avec un ordre du jour chargé : il lui faut désigner les villes d'accueil des Jeux d'hiver et d'été célébrant en 1992 la XXVe olympiade, puis débattre d'une idée chère à Samaranch : briser la quadriennalité olympique en organisant des Jeux d'hiver en 1994. Le président souhaite ainsi donner une plus grande visibilité aux Jeux d'hiver, ce qui permettrait de « booster » le marketing associé ; en outre, les jeux Olympiques reviendraient sur le devant de la scène médiatique tous les deux ans, ce qui là aussi est bon pour les affaires... La proposition du Catalan est adoptée : les XVIIes jeux Olympiques d'hiver se tiendront donc en 1994, soit deux ans après les XVIes Jeux d'hiver. Qu'auraient pensé de cette initiative Pierre de Coubertin, qui souhaita après la Première Guerre mondiale voir les VIes jeux Olympiques se tenir dès 1920 malgré les difficultés du moment afin de préserver cette quadriennalité, ou J. Sigfrid Edström, qui assura durant la Seconde Guerre mondiale l'unité du mouvement olympique, puis se démena pour que les Jeux de la XIVe olympiade aient lieu dès 1948, en dépit de l'austérité de l'époque, toujours pour retrouver la quadriennalité olympique ? Nul ne le sait, mais la « marchandisation » des Jeux prend définitivement le pas sur la tradition.

Du 12 au 15 septembre 1988, le C.I.O. tient, avant l'ouverture des Jeux d'été de Séoul, sa quatre-vingt-quatorzième session dans la capitale du pays du Matin calme, la dernière journée de la réunion étant consacrée à l'élection de la ville d'accueil des Jeux d'hiver de 1994. Lausanne (Suisse) et Leningrad (U.R.S.S.), qui avaient manifesté quelques velléités, se sont désistées. Quatre villes restent donc en lice : Lillehammer (Norvège), Östersund (Suède), Anchorage (Alaska, États-Unis) et Sofia (Bulgarie). Comme souvent, les pronostics vont bon train : après la réussite des Jeux d'hiver de Sarajevo (1984), Sofia paraît en bonne position, car ce choix permettrait d'implanter encore un peu plus le mouvement olympique dans la sphère communiste du monde ; mais la Suède, dont les multiples champions ont fait beaucoup pour la réussite des Jeux d'hiver, ne les a jamais accueillis, ce qui semble un atout pour Östersund. Le vote s'avère assez surprenant : Sofia (dix-sept voix) est éliminée au premier tour, Anchorage (vingt-deux voix) est éjectée au deuxième ; en définitive, au troisième tour de scrutin, le C.I.O. désigne Lillehammer, qui obtient quarante-cinq voix, alors qu'Östersund n'en recueille que trente-neuf. Cette jolie petite agglomération de vingt mille habitants qui est une des rares villes du monde à présenter un skieur sur ses armoiries, située à 180 kilomètres au nord d'Oslo, va devoir relever un immense défi.

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Le comité d'organisation (Lillehammer Olympic Organizing Committee, L.O.O.C.) se constitue rapidement. Le premier président de cette structure, Ole Sjetne, laisse la place en 1989 à Gerhard Heiberg, un industriel. Contrairement à Albertville en 1992, qui avait associé toute la Savoie à son projet olympique et volontairement dispersé les compétitions sur quatorze sites, Lillehammer propose des Jeux plus resserrés : six sites sont retenus. La construction des infrastructures commence véritablement au printemps de 1990. Conformément à ses engagements, le L.O.O.C. se soucie en permanence de la préservation de l'environnement en aménageant les différents sites : le L.O.O.C. érige en leitmotiv l'expression « Jeux blancs et verts » pour qualifier ces XVIIes Jeux d'hiver.

Le Parc olympique, véritable cœur des Jeux, est édifié sur des terrains de la municipalité de Lillehammer même ; il comprend le Birkebeineren, le Lysgårdsbakkene, l'Hunderfossen, l'aire de ski artistique de Kanthaugen et le hall de glace de Håkons. Le Birkebeineren, achevé en 1993, accueille les compétitions de ski de fond, de biathlon et de combiné nordique : 36 kilomètres de pistes sont aménagés, plus de trente mille spectateurs peuvent se passionner pour les épreuves. Le Lysgårdsbakkene est le théâtre des compétitions de saut à skis (deux tremplins sont construits) et des cérémonies d'ouverture et de clôture ; terminé en décembre 1992, il peut accueillir quarante mille spectateurs. L'Hunderfossen, situé à une quinzaine de kilomètres au nord du centre-ville, est choisi pour les compétitions de bobsleigh et de luge : une piste de 1 710 mètres est inaugurée durant l'été de 1993 ; dix mille personnes peuvent assister aux compétitions. Le site de Kanthaugen est aménagé pour les compétitions de ski artistique et peut recevoir quinze mille spectateurs. Le hall de glace de Håkons (dix mille cinq cents places) est le théâtre de la plupart des matchs du tournoi de hockey sur glace. Néanmoins, quelques rencontres de hockey se déroulent à Gjøvik, à 45 kilomètres au sud de Lillehammer, où une patinoire de cinq mille trois cents places est creusée dans la montagne : la « caverne » de Gjøvik, qui multiplie les innovations technologiques et constitue une merveille, accueille notamment la finale de ce tournoi.

Hamar, une localité située à une soixantaine de kilomètres au sud de Lillehammer, connaît l'honneur d'organiser les compétitions de patinage artistique, de patinage de vitesse et de short-track : pour ancrer ces Jeux dans la tradition scandinave, les concepteurs de la patinoire dédiée au patinage de vitesse – la halle olympique (dix mille six cents places) – la dotent d'une toiture dont la forme évoque une coque de drakkar viking renversée, ce qui lui vaut son surnom (Vikingskipet) ; la seconde patinoire – l'amphithéâtre olympique (six mille places) – est donc dévolue au patinage artistique et au short-track.

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Pour le ski alpin, la station de Kvitfjell, à une soixantaine de kilomètres au nord de Lillehammer, accueille les compétitions masculines ; Hafjell, sise à 15 kilomètres au nord de Lillehammer, est choisie pour les épreuves féminines. Néanmoins, il s'avère rapidement que les pentes du domaine d'Hafjell ne sont pas suffisamment raides pour les compétitions de vitesse ; aussi, la descente féminine comme le super-géant féminin sont transférés à Kvitfjell.

Deux villages olympiques sont édifiés : à Lillehammer même, cent quatre-vingt-cinq maisons sont construites dans la zone de Skårsetlia, à 3 kilomètres du centre-ville, ce qui permet d'héberger deux mille trois cents personnes ; un autre village (cinq cents lits) est établi à Hamar.

Évalué au moment de la présentation du projet à 500 millions de dollars, le budget des Jeux de Lillehammer explose : le rapport officiel du comité d'organisation indique que les dépenses se montent à près de 7,4 milliards de couronnes norvégiennes, soit 1,1 milliard de dollars. Néanmoins, l'État garantit le coût des Jeux, alors que l'accélération de la « marchandisation » olympique permet de multiplier les recettes : le marketing génère 500 millions de dollars, dont 239 millions de dollars de droits de retransmission télévisée, soit environ 1,80 milliard de francs de l'époque (les droits se montaient à 1,48 milliard de francs en 1992 à Albertville), la chaîne américaine C.B.S. versant 200 millions de dollars pour diffuser les Jeux en exclusivité aux États-Unis. La couverture médiatique des compétitions de Lillehammer bat tous les records pour des Jeux d'hiver : les images sont diffusées dans cent vingt pays (quatre-vingt-six pour Albertville), dont les pays d'Afrique et du Moyen-Orient ; plus de huit mille personnes (dont deux mille cinq cents journalistes) travaillent directement pour les médias. Par ailleurs, les Norvégiens se déplacent en nombre pour assister aux compétitions : un million deux cent mille billets d'entrée dans les différents sites sont vendus, laissant une recette de 248 millions de couronnes, soit 41 millions de dollars.

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Le programme sportif compte soixante et une épreuves (contre cinquante-sept en 1992) : le ski acrobatique s'enrichit de la compétition de saut (pour les hommes comme pour les femmes), alors que le short-track s'étoffe avec le 500 mètres masculin et le 1 000 mètres féminin. La participation marque un très léger recul : mille sept cent quarante et un sportifs et sportives prennent part aux différentes épreuves (ils étaient mille huit cent un en 1992). Pourtant, le nombre de pays présents aux Jeux augmente un peu : ils sont soixante-sept (contre soixante-quatre à Albertville). Ce léger accroissement matérialise essentiellement l'éclatement de l'U.R.S.S. : en 1992, les concurrents de l'ex-U.R.S.S. avaient été rassemblés au sein de l'équipe unifiée de la C.E.I. ; cette fois, chaque république engage sa propre délégation. Il résulte aussi de l'implosion de la Yougoslavie : Croatie, Bosnie-Herzégovine, Slovénie présentent des délégations autonomes.

Plusieurs champions marquent ces Jeux de leur empreinte. Le patineur de vitesse Jogan Olav Koss remporte trois médailles d'or en battant à chaque fois le record du monde. La skieuse de fond italienne Manuela Di Centa s'adjuge une médaille dans chacune des cinq épreuves féminines, alors que le Norvégien Björn Daehlie récolte quatre médailles (dont deux en or). L'Allemand Markus Wasmeier obtient deux médailles d'or en ski alpin, de même que son compatriote Jens Weissflog en saut à skis. La Canadienne Myriam Bédard gagne les deux épreuves individuelles de biathlon. Par ailleurs, le C.I.O., dans le cadre de l'ouverture des compétitions aux sportifs professionnels, requalifie de nombreux patineurs artistiques : ceux-ci connaissent des fortunes diverses, mais ils sont tous très applaudis, notamment les Britanniques Jayne Torvill et Christopher Dean, ainsi que la belle Katarina Witt. Par ailleurs, la compétition féminine se déroule dans un climat particulier, car l'Américaine Nancy Kerrigan a été agressée peu avant les Jeux par un « commando » semble-t-il à la solde de sa compatriote et rivale Tonya Harding.

Alors que l'équipe unifiée de la C.E.I. (neuf médailles d'or, vingt-trois médailles au total) n'occupait que la deuxième place du bilan des nations aux Jeux d'Albertville en 1992, la Russie se montre cette fois la digne héritière de l'U.R.S.S. et se trouve en tête de ce bilan (onze médailles d'or, huit médailles d'argent et quatre médailles de bronze, soit vingt-trois médailles au total). Les Russes brillent particulièrement en patinage artistique (trois médailles d'or, deux médailles d'argent), en biathlon (cinq médailles, dont deux en or), et présentent un joli bilan en patinage de vitesse (cinq médailles, dont deux en or). En 1992, la Norvège avait amorcé un renouveau (troisième place, avec vingt médailles, dont neuf en or) : à domicile, elle consolide cette embellie et occupe la deuxième place (dix médailles d'or, onze médailles d'argent et cinq médailles de bronze, soit vingt-six médailles au total). Son équipe de ski de fond (huit médailles, dont trois en or) confirme son rang ; le patinage de vitesse, essentiellement grâce aux exploits de Jogan Olav Koss, lui vaut trois médailles d'or et deux médailles d'argent ; la formation masculine de ski alpin (quatre médailles, dont une en or) apporte de belles satisfactions. Première en 1992 (dix médailles d'or, vingt-six médailles au total), l'Allemagne glisse à la troisième place (neuf médailles d'or, sept médailles d'argent et huit médailles de bronze, soit vingt-quatre médailles au total). Les Allemands se distinguent en ski alpin (trois médailles d'or, une médaille d'argent), en biathlon (six médailles, dont une en or), en saut à skis (trois médailles, dont deux en or) ; en revanche, l'équipe d'Allemagne de patinage de vitesse, construite sur les acquis de la défunte R.D.A. et qui avait récolté onze médailles (dont cinq en or) en 1992, marque un recul (six médailles, mais une seule en or, toutes obtenues par la délégation féminine). Sixième en 1992 (quatorze médailles, dont quatre en or), l'Italie démontre qu'elle s'inscrit durablement dans le paysage olympique hivernal : elle se classe quatrième (sept médailles d'or, cinq médailles d'argent et huit médailles de bronze, soit vingt médailles au total). L'équipe italienne de ski de fond (neuf médailles, dont trois en or) se distingue, tout comme la formation de luge, qui s'adjuge deux des trois médailles d'or distribuées dans cette discipline. Comme en 1992, les États-Unis occupent la cinquième place (six médailles d'or, cinq médailles d'argent et deux médailles de bronze, soit treize médailles au total) : le patinage de vitesse (trois médailles d'or) et le ski alpin (deux médailles d'or, deux médailles d'argent) valent de belles satisfactions aux Américains. La Corée du Sud se hisse à la sixième place (quatre médailles d'or, une médaille d'argent et une médaille de bronze), essentiellement grâce au short-track (quatre médailles d'or, une médaille d'argent). Quatrième en 1992, l'Autriche enregistre une contre-performance : elle est neuvième (deux médailles d'or, trois médailles d'argent et quatre médailles de bronze) ; sa délégation de ski alpin ne glane que trois médailles, mais ce piètre résultat s'explique peut-être par la mort d'Ulrike Maier, qui s'est tuée lors de la descente de Garmisch quelque temps avant les Jeux. La France avait connu une embellie à domicile en 1992 (septième place, avec trois médailles d'or et neuf médailles au total) ; les Tricolores (une médaille d'argent et cinq médailles de bronze, dix-septième place du bilan) déçoivent cette fois leurs supporters. Enfin, vingt-deux pays obtiennent une médaille au moins.

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Les Jeux d'hiver de Lillehammer comptent parmi les plus réussis de l'histoire. Le L.O.O.C. parvient, comme il s'y était engagé, à réussir le mariage du « blanc » et du « vert » : d'un côté, les compétitions sportives sont de haute tenue, les infrastructures s'avèrent à la fois modernes, fonctionnelles et d'une indiscutable beauté architecturale ; de l'autre, si on excepte le « sacrifice » d'une forêt de pins rasée pour tracer les pistes de descente de Kvitfjell, l'environnement est respecté (l'emplacement prévu de la patinoire de Hamar est modifié de quelques mètres pour préserver une réserve animalière, les podiums sont fabriqués en glace afin de pouvoir fondre, les écologistes sont consultés pour tous les projets). La tradition scandinave se voit constamment mise en valeur (la célèbre gravure rupestre de l'île de Rødøy représentant un skieur et datée de 2500 avant J.-C. inspire les pictogrammes sportifs ; les constructions nouvelles s'appuient sur les techniques architecturales centennales de la Scandinavie).

Surtout, le grand vainqueur de ces Jeux d'hiver est le public : les Norvégiens se rendent en masse sur tous les sites des compétitions et encouragent sans relâche leurs champions, mais aussi leurs rivaux. Il faut dire que quiconque a eu l'occasion de croiser du côté du cercle polaire arctique norvégien un « fondu de fond » en train de préparer, durant l'été sans nuit, la saison hivernale en avalant les kilomètres sur des skis munis de roulettes peut mieux comprendre la passion de ce peuple pour les compétitions nordiques en particulier, pour les sports d'hiver en général, et, tout simplement, pour le sport.

— Pierre LAGRUE

Bibliographie

P. Lagrue, Le Siècle olympique. Les Jeux et l’histoire (Athènes, 1896-Londres, 2012), Encyclopædia Universalis, Paris, 2012

É. Monnin, Un siècle d’olympisme d’hiver, de Chamonix à Vancouver, Desiris, Gap, 2010.

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Écrit par

  • : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs

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