LIN YUTANG[LIN YU-T'ANG](1895-1976)
Né d'une famille aisée du Fujian, Lin Yutang apprend l'anglais dès son plus jeune âge, comme beaucoup de jeunes Chinois de la bourgeoisie éclairée de l'époque. En 1911, il entre à la St. John's University de Shanghai et en sort diplômé en 1916. En 1919, il s'embarque pour les États-Unis et acquiert à l'université Harvard une solide formation en philologie, qu'il complète à l'université de Leipzig où il passe son doctorat en 1923.
Après avoir enseigné la philologie anglaise dans les universités de différentes villes de Chine, il repart pour les États-Unis en 1936. Sa mésentente avec les milieux de l'intelligentsia radicale et notamment avec Luxun n'est peut-être pas étrangère à cet exil. Il occupe alors un poste à l'ambassade de Chine aux États-Unis. Après la Seconde Guerre mondiale, la fonction qu'il remplit à l'U.N.E.S.C.O. le met en contact avec les milieux intellectuels parisiens. Après la victoire des communistes chinois en 1949, il partage son temps entre Formose et les États-Unis.
Intellectuel et occidentalisé, Lin Yutang collabore avec les écrivains et les penseurs issus du Mouvement du 4-Mai à différentes revues et périodiques. Il écrit des articles pour la revue de Luxun et de son frère Zhou Zuoren, Yusi (Fragments) ; contribue au développement d'une langue simple et familière par son périodique Renjian shi (Le Monde humain) ; publie Xi Feng (Vent d'ouest), revue consacrée à la traduction d'œuvres occidentales. Mais c'est la revue Lunyu (Analectes) qui devait lui valoir sa réputation d'humoriste. Il créa un nouveau style journalistique, inspiré des xiao pinwen, petits essais familiers, qu'il compare à Jing Wen, l'héroïne toujours mal coiffée et négligée du Hong lou meng, antithèse taoïste de la trop sérieuse et confucéenne Bao Cha. Pour Lin Yutang, l'humour, cette qualité profondément chinoise, trait d'union entre le réalisme et la fantaisie, est le meilleur garant contre le fanatisme et l'idéalisme, les deux grands maux dont souffre l'Occident. De fait, l'humour de Lin Yutang n'est pas cette raillerie amère et corrosive de Luxun qui fustige les tares de la société chinoise.
Son talent d'humoriste et son art de la formule lui permettront de faire connaître la Chine à l'étranger. En 1936 et en 1937, il écrit successivement deux livres qui ont un immense retentissement en Amérique : La Chine et les Chinois (My Country and My People) et L'Importance de vivre (The Importance of Living). Il substitue à la panoplie des stéréotypes qui avaient alors cours en Occident le nouveau cliché d'un Chinois bon vivant, individualiste plaçant la famille plus haut que l'État, pacifique, réaliste et possédant au suprême degré l'art de savourer les menus plaisirs de l'existence. Mais on peut se demander si le portrait qu'il brosse de ce peuple « qui se consacre plutôt à vivre qu'à progresser », dénué de logique mais pourvu d'un solide bon sens, n'est pas plutôt celui d'un bourgeois menant une existence douillette : Lin Yutang.
Ses romans, Moment in Pekin (que l'on a comparé un peu hâtivement au Hong lou meng), A Leaf in the Storm, Between Tears and Laughter, donnent un aperçu de la société chinoise durant la tragique période de la guerre sino-japonaise. Mais c'est sans doute encore par d'autres travaux qu'il a contribué à donner aux Occidentaux une image plus exacte de la Chine ; on peut évoquer son œuvre de traducteur, et en particulier sa traduction du Fu sheng liu ji de Shen Fu : Chapters of a Floating Life (Récits d'une vie fugitive), ses théories chinoises sur l'art (The Chinese Theory of Art) ainsi que son étude sur Su Dongpo : The Gay Genius : The Life and Time of Su Tung-p'o, dont le taoïsme tempéré et l'art[...]
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Écrit par
- Jean LEVI : assistant de recherche au Centre de linguistique chinoise
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