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LINGUISTIQUE & LITTÉRATURE

Linguistique de l'énonciation

La coupure même et la pertinence du seuil qui sépare phrase et texte se sont trouvées mises en question à l'intérieur de la linguistique elle-même. Une théorie de l'énonciation s'est élaborée, pour rendre compte de faits d'intersection des deux domaines, et cette théorie n'a pas manqué de rendre attentif à des faits de plus en plus nombreux et troublants. Il s'agissait, en effet, de rendre compte de ces éléments de la langue dont le sens dépend étroitement des conditions du discours. Cette théorie, si elle déborde largement la problématique littéraire traditionnelle, s'est formulée, en fait, à partir des problèmes posés par l'étude des « textes », chez des linguistes comme Jakobson (Essais de linguistique générale et Huit Questions de poétique) ou Benveniste (Problèmes de linguistique générale et « Sémiologie de la langue », in Semiotica), peu enclins à se contenter de l'aridité des exemples irréels de la grammaire formelle. Si le statut abstrait de la phrase détachée qui sert de lieu d'exercice aux grammairiens permettait, en effet, d'escamoter l'analyse de tels problèmes, l'analyse des textes littéraires les amenait au premier plan, même si le caractère monologique et le statut scripturaire du texte littéraire moderne continuaient d'en occulter partiellement l'ampleur.

Mais cette notion d'énonciation une fois posée a produit des effets perturbateurs dans les deux disciplines susceptibles d'en user. Dans l'analyse littéraire, elle a ouvert la voie à un retour massif de la subjectivité et à des spéculations biographiques, étayées par le recours à une certaine conception de la psychanalyse. Dans le domaine linguistique, il est apparu rapidement qu'on ne pouvait cantonner l'énonciation, comme on avait pu le croire au début, dans les marges de la langue. Constituée pour rendre compte de quelques particularités du système des pronoms personnels, elle a fait resurgir, au cœur de la discipline, ce qu'on en croyait définitivement écarté et que le statut de l'exemple permettait de croire éliminé : le statut de la référence, soit intradiscursive (relations de phrase à phrase), soit extradiscursive (relation aux interlocuteurs et aux conditions de l'interlocution), problèmes de fonctionnement du langage (extension du performatif – où le « dire » est un « faire » – à la plupart des situations de communication), etc.

Aussi a-t-on tenté, au cours des dernières décennies, de construire des systèmes linguistiques transphrastiques. L'objet de la linguistique n'est plus alors la phrase, mais le discours. On retrouve ainsi les préoccupations de la rhétorique classique, soucieuse de rendre compte de l'organisation et du fonctionnement des discours. On distinguera soigneusement cette nouvelle rhétorique du discours des rhétoriques modernes évoquées tout à l'heure, qui sont en fait – rhétoriques du mot ou rhétoriques du syntagme – des variantes de la stylistique des écarts, simple catalogue des figures.

Dans cette ligne se situent les travaux d'Oswald Ducrot (Dire et ne pas dire), de Michel Pêcheux (Les Vérités de La Palice), des groupes de sociolinguistique ainsi que de l'école de linguistique textuelle (Textlinguistik) allemande, qu'a exploré en France Jean Peytard (« Enseignement du récit et cohérence du texte »).

On notera que la plupart de ces chercheurs ne vont pas jusqu'à remettre en question le schéma de la complémentarité. L'existence, en amont de la méthode qu'ils cherchent à constituer, d'une linguistique autonome fournissant des procédures adéquates pour un premier palier d'analyse est une évidence généralement admise, que les chercheurs se rattachent, comme les analystes du discours, à la linguistique de Harris, ou qu'ils aient recours,[...]

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Écrit par

  • : maître assistant honoraire à l'universi-té de Paris VIII

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Médias

Schéma de la communication défini par Roman Jakobson - crédits : Encyclopædia Universalis France

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Fonctions du langage définies par Roman Jakobson - crédits : Encyclopædia Universalis France

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