LINGUISTIQUE & LITTÉRATURE
Sémiotiques
Sous le titre de sémiologie ou de sémiotique littéraire (« Sémiotiques textuelles », in Langages), une autre combinaison entre linguistique et littérature s'est mise en place à partir des années 1960.
Il ne s'agit plus ici de prolonger la linguistique en étendant son domaine ou en le complétant, ni de lui emprunter des outils scientifiques prêts à fonctionner, mais de transposer dans le domaine du sens les modèles éprouvés de la science linguistique. Celle-ci aurait ainsi vocation à fournir des modèles de la science applicables aux sciences humaines, le prototype de l'opération étant l'utilisation du modèle phonologique pour l'analyse anthropologique proposée par Lévi-Strauss.
Un tel développement était annoncé dans le Cours de linguistique générale, dans la mesure où Ferdinand de Saussure voyait dans la linguistique une science des signes, une sémiologie. Antérieure en droit à la linguistique, qui n'en est qu'un cas particulier, la sémiologie ou sémiotique lui est postérieure en fait, dans la mesure où ce sont les modèles linguistiques qui en sont la première élaboration systématique.
Ce qui caractérise ainsi les recherches de sémiotique littéraire, ce qui les distingue à la fois des stylistiques et des poétiques, c'est l'abandon de la procédure classique de l'explication de texte au fil du texte. Il s'agit ici de construire des modèles du texte, c'est-à-dire des schémas abstraits destinés à rendre compte du fonctionnement de l'objet textuel, non plus au niveau des structures superficielles, mais à un niveau plus profond. Il en résulte une rencontre avec la perspective des grammaires transformationnelles, notamment avec celle de Šaumjan, à laquelle Julia Kristeva (Semeiotike), par exemple, emprunte la distinction entre un niveau phénoménal, le « phénotexte », et un niveau profond, le « génotexte ».
Autre caractéristique de ces recherches, l'importance des problèmes de sémantique. C'est sous la forme d'une « sémantique structurale » que, chez Algirdas Julien Greimas (Sémantique structurale et Du Sens), la sémiotique littéraire fait son apparition en France, et les travaux de Jean-Claude Coquet (Sémiotique littéraire) se présentent explicitement comme une « contribution à l'analyse sémantique du discours ». Exprimant le projet de la sémiotique littéraire, il écrit : « Tirant les leçons des travaux, principalement de R. Jakobson, d'É. Benveniste, de C. Lévi-Strauss et d'A. J. Greimas, nous avons substitué au point de vue taxinomique de la langue conçue comme un système de signes le point de vue syntaxique d'un discours compris comme un enchaînement de structures de signification munies de leurs règles de combinaison et de transformation. »
Cette préoccupation conduit le sémioticien à tenter de construire l'aile manquante de la linguistique moderne, l'aile sémantique. D'où le jeu sur les frontières de l'interdisciplinarité. Bien que Coquet déclare, dans la suite du texte cité, qu'« il serait vain de penser qu'une telle description pourrait prendre le tour d'une suite d'opérations logico-mathématiques », le rôle des logiques modernes est de plus en plus marqué dans ces recherches, qui, par ailleurs, aboutissent souvent à des rencontres tumultueuses avec le marxisme et la psychanalyse, comme en témoigne l'évolution de l'œuvre de Julia Kristeva.
Les relations entre linguistique et littérature sont entrées en crise. À l'optimisme des années 1950-1960, alimenté par les espoirs de l'interdisciplinarité, a succédé une interrogation violente, dont l'œuvre critique d'Henri Meschonnic porte témoignage. Cette interrogation passionnée sur l'« épistémologie de l'écriture » correspond à l'ébranlement qui a gagné l'ensemble des sciences[...]
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Écrit par
- Pierre KUENTZ : maître assistant honoraire à l'universi-té de Paris VIII
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