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LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE

Rapport méthodologique de la psychanalyse à la science linguistique

Un fait est frappant : alors que Freud marque un intérêt pour l'ensemble des sciences dites humaines, alors que, d'autre part, il est amené à s'occuper des données de langue et même à construire à partir d'elles des analogies méthodologiques importantes, la linguistique comme telle n'est pas mentionnée par lui. Il faut être clair : la psychanalyse freudienne construit entre l'inconscient et le langage un réseau serré de connexions, mais elle le construit dans la plus grande ignorance de la linguistique. C'est au reste sur ce point que la coupure instituée par Jacques Lacan a entraîné les effets les plus visibles. On peut les résumer ainsi : la question des rapports entre la psychanalyse et le phénomène langage se pose dès les premiers travaux de Freud ; la question des rapports entre la psychanalyse et la science du langage n'a pas de contenu avant Jacques Lacan.

L'étrangeté de la position de Freud

L'indifférence de Freud à l'égard de la linguistique est paradoxale. Après tout, il est contemporain de la plus grande efflorescence de la science linguistique européenne : qu'on songe à Saussure, Meillet, Troubetzkoy, Jakobson, etc. On peut admettre que, avant 1914, Freud ait pu ignorer ce qui se passait en linguistique en France et en Suisse et qui était assez peu connu ; on peut admettre qu'ensuite les ruptures causées par la guerre l'aient détourné de ce qui se passait hors des milieux de langue allemande, et notamment à Prague et à Paris. Mais, compte tenu de tout cela, il n'en reste pas moins que la linguistique allemande, sous la forme de la grammaire comparée, avait connu à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle un développement éclatant. Or, à bien des égards, la grammaire comparée croise des intérêts que l'on sait fort vifs chez Freud : l'archéologie, l'anthropologie, la méthode de la conjecture fondée sur la lettre, etc. Tout cela s'écrivait dans des langues accessibles à Freud. Tout cela concernait des langues que Freud pratiquait ou avec lesquelles il pouvait aisément se rendre familier. Mais non : pas une référence ; Freud préfère s'adresser à des marginaux (Abel) ou à une philologie dépassée (le dictionnaire de Grimm). Il ne nous appartient pas de proposer une explication. Faut-il supposer que la grammaire comparée indo-européenne repoussait Freud, parce qu'elle construisait l'image d'une humanité ancienne où le judaïsme n'avait point de part ? Il est vrai que certains idéologues lui ont fait, pour cette raison même, jouer le pire des rôles et cela bien avant 1933. Freud pouvait le savoir. Faut-il alors admettre que, s'interdisant d'avoir accès à la linguistique par les voies de la grammaire comparée indo-européenne, il s'interdisait du même coup toute la linguistique, qu'elle s'occupât ou non de la grammaire comparée ? Faut-il mettre en cause le fait que la grammaire comparée est une science allemande, mais très peu une science autrichienne ? Quoi qu'il en soit, le fait est là : pour la psychanalyse freudienne de langue allemande, le langage importe constamment et l'idéal de la science est pris pour visée, mais la linguistique comme science du langage n'existe pas.

Cette situation ne s'est pas grandement modifiée dans le mouvement psychanalytique international, depuis que la psychanalyse anglo-saxonne en a pris la tête. On peut certes citer un grand nombre d'études cliniques où les phénomènes de langage sont tenus pour pertinents (les travaux de Robert Fliess méritent à cet égard une mention spéciale), mais ils manifestent en général une profonde ignorance de la problématique de la science linguistique.

Dans la psychanalyse de langue française, un rôle particulier a été joué[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII (département de recherches linguistiques)

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