LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE
La science du langage modifiée par la psychanalyse ?
Étant établi que la psychanalyse est possible, et étant établi que les données de langues sont en intersection avec les données de la psychanalyse, peut-on apprendre quelque chose de nouveau touchant le fonctionnement du langage, en partant des données de la psychanalyse ? Dans ce cas, la psychanalyse ne dépend pas de la linguistique. C'est bien plutôt la linguistique qui pourrait éventuellement avoir à tenir compte des données mises au jour par la psychanalyse. Ce mouvement serait analogue à celui par lequel Freud ne se borne pas à chercher des confirmations indépendantes dans les données de l'anthropologie ou de l'histoire des religions, mais propose des hypothèses originales dans ces domaines.
En ce qui concerne le langage, les tentatives intéressantes ne sont pas fort nombreuses. Elles concernent essentiellement deux thèmes. D'une part, le grand phonéticien Fonagy – fortement influencé par Sándor Ferenczi – a tenté d'articuler la théorie freudienne des pulsions et la théorie linguistique de la forme phonique (cf. notamment « Les Bases pulsionnelles de la phonation », in La Vive Voix). On peut citer avant lui Edward Sapir (cf. notamment « A Study in phonetic symbolism », article de 1929 repris dans Selected Writings, University of California Press, 1963), dont la relation à la psychanalyse est certaine, mais moins précise et explicite. D'autre part, certains psychanalystes ont été amenés à examiner l'ontogenèse du langage ; mis à part Freud lui-même (observation du Fort-Da dans « Au-delà du principe de plaisir »), il faut citer surtout René Spitz.
Le problème est que les relations d'« importation » ne fonctionnent jamais aisément. Quels que soient les mérites des travaux cités, il faut avouer que, entre données touchant le langage et données touchant les processus inconscients, la relation demeure conjecturale.
En tout cas, un malentendu doit être dissipé : il est vrai que les processus linguistiques échappent largement à la conscience du sujet parlant, mais, pour décrire ce statut « non conscient », il n'est ni nécessaire ni souhaitable de recourir au concept freudien d'inconscient. En particulier, on peut définir la tâche de la science du langage : rendre explicites les procédures que le sujet parlant met en œuvre sans en avoir conscience. Or cette explicitation ne prend pas la forme d'une interprétation, elle n'a pas à prendre en compte des refoulements, des résistances, des transferts, etc. En bref, il n'y a pas d'inconscient linguistique, si du moins l'on prend « inconscient » et « linguistique » en un sens précis.
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Écrit par
- Jean-Claude MILNER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII (département de recherches linguistiques)
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