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BROCKA LINO (1939-1991)

Né le 3 avril 1939 à San José, petite bourgade au nord de Manille, Lino Ortiz Brocka ne s'était pas immédiatement destiné au cinéma, bien qu'il fût un fervent de films noirs américains et de ceux de son compatriote Gerardo de León (1913-1981). Un moment, il a connu à l'université une crise de mysticisme, qui l'a transformé en missionnaire mormon, soignant les malades d'une léproserie. Cependant, la scène l'attire et il devient, très jeune, directeur du Théâtre pédagogique philippin, pour lequel il monte des pièces de Sartre, de Tennessee Williams et d'Arthur Miller. Ses premiers films sont des commandes à caractère strictement commercial, dont il déclare lui-même qu'il n'y a rien à retenir (Stardom, en 1971, lui vaut pourtant une flatteuse réputation). En 1974, il fonde avec quelques amis une maison de production indépendante, Cine Manila, dont l'objectif est la réalisation de films ambitieux, d'inspiration réaliste. Son premier essai dans ce domaine est un coup de maître : il s'agit de Maynila sa mga kuko ng liwanag (littérallement « Manille dans les griffes du néon », 1975), projeté en France en 1982 sous le titre Manille. Le protagoniste de cet âpre mélodrame est un jeune paysan brutalement affronté aux mirages, aux désillusions professionnelles et à la promiscuité de la « grande ville ». Le film est surtout l'histoire d'une révolte, d'une douloureuse prise de conscience des inégalités sociales, qui n'est pas sans rappeler Les Raisins de la colère.

Les autres films de Lino Brocka sont de la même veine : Insiang (1976), tourné en deux semaines, en décors réels, retrace le poignant itinéraire d'une jeune fille de dix-sept ans dans les bidonvilles de Manille ; Jaguar (1979) décrit les sanglants combats de rues que se livrent des bandes rivales de petits délinquants ; Bona (1980) est un voyage au bout de l'humiliation, accompli par une femme soumise à une totale dépendance sociale et psychologique ; Bayan Ko (1984) relate la crise morale que traverse un ouvrier imprimeur pris dans l'engrenage d'une grève. Partout, toujours, la violence, le sexe, l'oppression, le mépris de l'autre, avec l'unique alternative de la révolte ou du désespoir. Mais, surtout, un art consommé de la narration filmique, une direction d'acteurs stupéfiante de tension, une mise en scène nerveuse et contrôlée, un lyrisme à fleur de peau, qui rapprochent Brocka des grands réalisateurs américains classiques : Ford, Fuller, Nicholas Ray, avec un détour par le néo-réalisme italien. Ce cinéma, écrit Michel Perez, « nous renseigne et nous passionne, parce qu'il est narratif avant d'être politique, dramatique avant d'être informatif ».

Le dernier film de Lino Brocka, présenté au festival de Cannes 1989, est quasi autobiographique et porte le titre significatif de Les Insoumis. C'est une œuvre apatride, coproduite par la France mais sans nationalité officielle reconnue : un ancien prêtre et ancien maquisard, pris dans la tourmente du fanatisme postrévolutionnaire, décide, après bien des scrupules de conscience, de reprendre la lutte armée. Le message est limpide, le style étonnamment dépouillé. « Chacun de mes films, disait Lino Brocka, est un acte de désobéissance civile. » Nul mieux que lui n'a exalté et illustré le droit et le devoir d'insoumission.

— Claude BEYLIE

Bibliographie

« Le Cinéma de Lino Brocka », in Cinématographe, no 77, avr. 1982.

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Paris-I, historien du cinéma

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