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LIRE BERGSON (dir. F. Worms et C. Riquier)

Un mot célèbre de Bergson rappelle qu'on n'est jamais tenu de faire un livre. Que dire de la nécessité où nous sommes de lire certains d’entre d'eux ? La gloire de Bergson fut immense, mais elle semble d'un temps qui n'est plus le nôtre. Si l'œuvre ne disparaissait pas, elle avait commencé à s'effacer. Sans doute fallait-il compter avec quelques lectures : celle, fidèle mais ancienne, de Vladimir Jankélévitch (Henri Bergson, 1959) ; celle de Gilles Deleuze surtout, auteur d'un livre si deleuzien (Le Bergsonisme, 1966) qu'il pouvait presque servir d'introduction aux deux penseurs. Ce n'était pas pour autant le fait de toute une génération. Or de récentes publications montrent que l'heure pourrait bien être venue de relire Bergson.

Lire (ou relire), l'expression est à prendre d'abord en son sens littéral, comme un retour au texte rendu possible par la première édition critique des Œuvres complètes du philosophe. L'entreprise aura duré quatre ans (P.U.F., 2007-2011). Il s'agit d'un travail collectif mené sous la direction de Frédéric Worms et qui aura réuni toute une équipe de jeunes chercheurs. Il propose désormais, directement accessible dans une collection de poche, et en gardant la pagination originale des ouvrages, tout ce qu'un lecteur est en droit de rêver d'une telle édition : établissement du texte et des variantes, richesse des notes, d'utiles index et un important dossier de lectures permettant de réinscrire l'œuvre dans son histoire. En complément, un volume intitulé Lire Bergson (P.U.F., 2011), publié sous la direction de Frédéric Worms et Camille Riquier, et réunissant des contributions de la même équipe de chercheurs, ouvre des perspectives de recherche, donne l'idée de travaux en cours, autrement dit accompagne la restitution de la lettre du corpus bergsonien par de premiers commentaires. Lire appelle l'interprétation, ou plutôt une pluralité d'interprétations qui ne se figent en aucune synthèse définitive.

Des chantiers s'ouvrent, nombreux, pour revisiter l'œuvre de Bergson, mais aussi relire à partir d'elle la philosophie et son histoire.

Premier chantier donc, retrouver l'unité d'une œuvre qui ne s'est pas donnée d'un seul coup mais s'est inventée de livre en livre, développant une même intuition au fil de ses quatre ouvrages fondamentaux (Essai sur les données immédiates de la conscience ; Matière et mémoire ; L'Évolution créatrice ; Les Deux Sources de la morale et de la religion), et la déclinant à chaque fois de manière imprévisible en fonction du problème examiné. Deux essais récents, que l'on doit à nouveau à Frédéric Worms et Camille Riquier, s'emploient à décrire ce mouvement d'ensemble de l'œuvre en montrant comment une même question ne cesse de s'approfondir à travers différents champs d'expérience. À l'origine de l'étude de Frédéric Worms (Bergson ou les deux sens de la vie, P.U.F., 2004), il y a une thèse simple, celle de la différence entre durée et espace. Mais la valeur d'une thèse tient moins à sa simplicité qu'à la manière dont elle se répète et se complique de livre en livre, jusqu'à ce que cette distinction initiale devienne tension entre les deux sens de la vie, et révèle deux sortes irréductibles de morale (ou de religion). L'interprétation de Camille Riquier (Archéologie de Bergson, P.U.F., 2009) choisit un autre fil d'Ariane : celui de la personne, ou celui du temps, mais c'est le même, chaque livre majeur montrant alors comment la personnalité se constitue dans une dimension du temps (présent, passé, avenir et éternité) – le dernier mot de cette descente en soi dans les profondeurs du temps revenant au dernier livre de Bergson (Les Deux Sources[...]

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