LITHOSPHÈRE OCÉANIQUE (MICROBIOLOGIE DE LA)
Les premières photos des sources hydrothermales océaniques ramenées par le sous-marin Alvin en 1979 ont bousculé l'idée que la vie ne pouvait se développer qu'à la faveur de l'énergie lumineuse prodiguée par le Soleil. Ces oasis, où prolifère la vie, prouvent ainsi l'existence d'écosystèmes indépendants de la photosynthèse qui puisent leur énergie dans des processus géologiques et les réactions chimiques qui y sont associées. Dans cette perspective, les roches du manteau terrestre, appelées péridotites, portées à l'affleurement au fond des océans ou dans les massifs d'ophiolites par le jeu de la tectonique, constituent des environnements d'un intérêt tout particulier pour la chimiosynthèse. Ces roches, instables en présence d'eau, ont la capacité remarquable de produire d'importantes quantités d'hydrogène par l'hydratation des silicates qui les constituent. Cet hydrogène, en réduisant le dioxyde de carbone (CO2) provenant de l'eau de mer ou du manteau, peut conduire à la formation dite « abiotique » (impropre à la vie) d'hydrocarbures légers comme le méthane. Les produits dérivés de ces réactions dites de serpentinisation pourraient fournir, en outre, l'énergie nécessaire au développement de communautés microbiennes en profondeur. La première preuve directe de l'existence d'écosystèmes profonds nourris par les produits volatiles dérivant de l'hydratation du manteau océanique a récemment été publiée par une équipe franco-italienne (B. Ménez, V. Pasini et D. Brunelli, « Life in the hydrated suboceanic mantle », in Nature Geoscience, vol. 5, no 2, 2012), repoussant peut-être ainsi les limites de la colonisation microbienne à quelques kilomètres de profondeur dans la lithosphère, bien au-delà des systèmes hydrothermaux des fonds océaniques.
Si l'on considère que les deux tiers de la lithosphère créée le long des 60 000 kilomètres de dorsales océaniques sont majoritairement constitués de péridotites, qui affleurent au niveau du plancher océanique et sont ainsi serpentinisées, et que l'eau de mer y circule en profondeur sur plusieurs kilomètres, ces environnements pourraient ainsi constituer le plus grand habitat microbien sur Terre. Si cela se révèle exact, se pose alors la question du rôle de ces écosystèmes profonds dans la fixation du carbone et des facteurs physico-chimiques qui limitent cette production. Négligée jusqu'à présent dans les modèles globaux, cette vie intraterrestre semble toutefois jouer et avoir joué un rôle clé dans l'évolution de notre planète en tant que médiateur des flux élémentaires entre lithosphère, océans et atmosphère.
Ces possibles nouvelles signatures du vivant, quand on les reporte au contexte qui rappelle l'environnement de la Terre à l’Hadéen (de 4,5 à 3,8 milliards d'années), ouvrent également des perspectives intéressantes pour l'émergence de la vie sur notre planète. Pour que les premières cellules vivantes puissent apparaître à partir de CO2, de roches et d'eau, une source soutenue d'énergie était nécessaire. La serpentinisation apparaît comme un candidat de choix : source naturelle d'énergie chimique, elle aurait pu fournir les premières voies biochimiques qui sous-tendent l'apparition et le développement d'écosystèmes microbiens, exploitant, plutôt que provoquant, des processus géochimiques existants. Dans cette perspective, ces habitats ont dès lors pu constituer un environnement prébiotique favorable pour l'apparition des premières cellules sur la Terre, mais également sur Mars où ces roches ont récemment été détectées.
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Écrit par
- Bénédicte MÉNEZ : docteure en géochimie, chargée de recherche au CNRS
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Média