ASSYRO-BABYLONIENNE LITTÉRATURE
Œuvres morales et sapientiales
Bien que le genre des proverbes et dictons populaires ait été fort prisé des Sumériens, il y a peu de chose à en dire ici. Leurs recueils, traduits en akkadien et enrichis de quelques nouvelles maximes, ne vont guère au-delà de l'observation parfois ironique de la vie journalière et des vérités du simple bon sens.
Au contraire, c'est le problème du mal et celui de la justice divine qu'aborde un poème célèbre, que les Anciens appelaient de ses premiers mots, Je veux louer le seigneur de sagesse, et qu'en raison des similitudes qu'il paraît présenter avec le Job biblique, d'aucuns ont parfois nommé le Poème du Juste souffrant.
Composé de quatre tablettes, c'est un long monologue, dans lequel, non sans emphase ni rhétorique, un juste accablé de malheurs fait le récit de ses infortunes. Richesses, position sociale, estime de ses concitoyens, il a tout perdu, et son corps est tourmenté de mille maux dont médecins, prêtres ni devins ne peuvent lui révéler la cause ni la durée. Surviendra finalement le pardon du dieu, mais sa miséricorde demeure aussi inexplicable que l'avait été son courroux ; et, finalement, on se demande si les valeurs morales ont le même sens pour dieu et pour l'homme, et si les desseins divins ne resteront pas toujours un mystère impénétrable et déroutant.
Cette même idée de la transcendance divine se retrouve, exprimée avec plus de rigueur et de poésie, dans un autre poème que l'on a coutume de désigner sous le nom de Théodicée babylonienne. Il se présente sous la forme à la fois d'un dialogue et d'un poème acrostiche. Deux savants amis, en strophes alternées, y débattent de la responsabilité divine dans le bonheur et le malheur des hommes. La grille acrostiche nous livre le nom d'un sage qui vécut à Babylone, vers la fin du deuxième millénaire, et qui est sans doute l'auteur de ce poème, que les scribes postérieurs se plurent à recopier jusqu'à la période parthe. Le premier interlocuteur, pessimiste et désabusé, se révolte contre les maux qui frappent inconsidérément les hommes, et dont il donne maints exemples. Son ami, chaque fois, lui répond en défenseur de la religion et de l'ordre établi, et, lorsque lui manquent les arguments logiques, il invoque l'immanence de la justice divine et l'infirmité de l'homme à comprendre les longs desseins de dieu.
C'est également sous la forme d'un dialogue, ou plutôt sous celle d'une comédie à deux personnages, que les mêmes problèmes sont évoqués dans une pièce qui pourrait s'appeler Le Maître et son serviteur. Dans chacune de ses strophes, le maître appelle son valet, et lui dit ce qu'il a, sur-le-champ, décidé de faire. Et le serviteur d'approuver. Mais l'autre aussitôt renonce à son projet, et le valet, avec un même zèle, trouve pour s'abstenir d'aussi bonnes raisons qu'il en avait donné à l'inverse l'instant d'auparavant. Il n'est pas plus sage, en ce bas monde, d'agir dans un sens ou dans l'autre, et le moins absurde serait peut-être de se casser la tête ou de se jeter à l'eau.
On a beaucoup discuté sur le sens de cette œuvre, satirique pour les uns, empreinte pour les autres du plus noir pessimisme. Quoi qu'il en soit, il faut bien admettre, avec les derniers vers du dialogue, que les dieux seuls peuvent connaître le sens contradictoire de l'existence humaine.
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Écrit par
- René LABAT : membre de l'Institut, professeur au Collège de France, directeur à l'École pratique des hautes études
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