SHOAH LITTÉRATURE DE LA
L'anéantissement des Juifs par le nazisme restera pour l'Histoire la marque distinctive du xxe siècle. Même si celui-ci a connu d'autres massacres, liés à d'autres totalitarismes, ou des destructions massives, comme celle qui a été causée en 1945 par les bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki. L'extermination des Juifs par les nazis garde son unicité car, en l'absence de toute causalité, économique ou politique, elle réduit « l'homme en non-homme » (Giorgio Agamben), en matériau brut, en matière première.
Le caractère unique de l'événement se révèle dans l'incapacité même de le nommer, incapacité qui se perpétue à ce jour. Pour le désigner, le terme Holocauste, employé par des rescapés comme Elie Wiesel, a été retenu notamment dans le monde anglophone. Mais en raison de sa connotation religieuse, il est récusé par beaucoup. Par sa généralité, la notion de génocide, la plus exacte pour évoquer cette tragédie, ne rend pas compte de l'ensemble du processus allant de la réduction de l'humain à « la vie nue » tuable à merci, avant même l'extermination des êtres. Dans le monde juif, le yiddish, langue parlée par la plupart des exterminés, l'a désigné sous le vocable khurbn (de l'hébreu khurban, destruction), par analogie avec la destruction du Temple qui se trouve ici désigner par métonymie le peuple juif. L'hébreu a adopté le terme Shoah (catastrophe), qui s'est imposé dans le monde et plus particulièrement en France à travers le film de Claude Lanzmann (1985). Dans cette étude on a voulu retenir le terme d'anéantissement, pour marquer que l'extermination des Juifs n'est pas un désastre qui a frappé les seules victimes, mais qu'elle est le désastre du monde dans son ensemble, et que ce désastre toute langue est sommée de le dire.
C'est sous le signe de l'anéantissement que s'est déroulée la majeure partie du xxe siècle et que s'est constituée une grande partie de son art et de sa littérature. Il reste à voir comment cette cassure du temps en un avant et un après inconciliables a pu se traduire dans la création littéraire et dans le domaine de la pensée. En d'autres termes, face à cet événement, s'est-il dégagé une littérature inédite ?
L'anéantissement comme fondement de l'écriture
Le but du ghetto et du camp d'extermination était la destruction totale de l'homme comme être biologique, psychologique et social. Soit la dissolution du lien social entre individu et collectif (entre bourreau et victime, bien sûr, mais aussi entre les victimes elles-mêmes), la dépersonnalisation de l'individu par sa dégradation, l'abolition de son sens du réel par le bouleversement de tous ses repères spatio-temporels présents, passés et à venir, afin de transformer l'homme en une matière première exploitable, un objet effaçable à merci.
La destruction et l'indestructible
« L'homme est l'indestructible, et cela signifie qu'il n'y a pas de limite à la destruction de l'homme » (Maurice Blanchot, L'Entretien infini, 1969). Il n'y a donc pas de limite non plus à sa résistance, qui tire sa force de ce paradoxe : une singularité individuelle liée de façon indissoluble à cette « figure à peu de choses près collective et anonyme » et qui s'obstine dans sa « revendication presque biologique d'appartenance à l'espèce humaine » (Robert Antelme, L'Espèce humaine, 1947). C'est donc à la fois à l'échelon le plus particulier et à l'échelle la plus impersonnelle que se manifeste cette persévérance à vivre, à survivre au désastre de ceux qui l'ont traversé et ont été exterminés, de ceux qui l'ont traversé et en sont revenus – « les naufragés et les rescapés[...]
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Écrit par
- Rachel ERTEL : professeur des Universités
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