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SHOAH LITTÉRATURE DE LA

Des témoignages pour « la mémoire du monde »

On entend par témoignage la « déclaration de ce qu'on a vu, entendu, perçu, servant à l'établissement de la vérité », tout a été fait par les bourreaux pour que l'anéantissement reste un événement sans témoin (Shoshana Felman). Absence d'archives écrites sur le forfait, tentatives de destruction des chambres à gaz et des fours crématoires, incinération des cadavres, extermination programmée de tous les captifs des ghettos, de tous les internés des Lager. Mais il n'existe pas dans l'Histoire d'événements sans traces. Les récits testimoniaux se sont constitués tout au long des années noires, commençant avec les premières mesures d'exclusion de l'espace et du corps social.

Le témoignage des engloutis

Dès les premières persécutions et la constitution des ghettos, ce sont des cahiers, des lettres, des feuillets, couverts de l'écriture maladroite d'enfants ou d'adolescents : Anne Frank, Etty Hillesum à Westerbork, I. Rudashevski dans le ghetto de Vilno, Dawid Sierokowiak, Abraham Cytryn, du ghetto de Lodz, Mary Berg du ghetto de Varsovie, ou Ana Novac à Auschwitz même. Carnets et journaux griffonnés dans des caches – caves, greniers, cheminées, doubles cloisons – comme pour Leyb Rokhman (Et dans ton sang tu vivras) ; dans les ghettos – à Kovno Avraham Tory, à Varsovie, où témoignent l'historien Emmanuel Ringelblum, le président du Judenrat Adam Czerniakow, le pédagogue Janusz Korczak, mort avec les enfants dont il avait la charge, Chaim Kaplan, Abraham Lewin ; il en va de même à Vilno, pour le bibliothécaire Hermann Kruk, ou pour Itzhak Katzenelson au camp de Vittel, antichambre d'Auschwitz pour lui et son fils. Mentionnons également les chroniques quotidiennes du ghetto de Lodz, écrites par les membres du Département des archives – émanations clandestines du Judenrat, apportant des informations capitales sur « une période sombre de la vie d'une communauté juive ».

Notes enfouies et déterrées par les survivants, souvent fragmentaires, incomplètes, partiellement illisibles, effacées par les intempéries, les unes terrifiantes dans leur sécheresse, instantanés des morts en sursis, d'autres prenant forme d'invocations, plaintes ou cris d'alarme et de détresse : les Écrits des condamnés à mort, présentés par M. Borwicz, ou les Rouleaux d'Auschwitz (en français, Des voix dans la nuit), griffonnés par Zalman Gradowski, Leib Langfus et Zalman Lewenthal, enterrés dans les cendres autour des fours crématoires de Birkenau.

Les voix des rescapés et l'absence du « seul vrai témoin »

Similaires et différentes, les voix des rescapés font écho aux voix des disparus. Elles cherchent à traduire pour les vivants le langage des exterminés qu'ils ont laissés là-bas, celui des survivants qu'ils sont devenus, mais avec ce quelque chose de mort en eux qui parle. Pour tous, dans le ghetto ou le Lager, l'impératif de témoigner, d'une manière ou d'une autre, se confond avec la pulsion de vivre. « Je ne suis rien d'autre que ces feuillets », dit A. Novac.

Dans le monde yiddish, des centaines de mémoires (zikhroynes) s'écrivent (Mordkhè Strigler, Ka-Tzetnik, Leyb Rokhman, Rokhl Auerbach, Avrom Sutzkever, Ionas Turkow, ou les sept cents pages du manuscrit d'Élie Wiesel, Et le monde se taisait). Certains sont publiés, d'autres – la plupart – sont déposés dans les archives du musée d'Histoire juive de Varsovie, dans celles du Yivo ou de Yad Vashem, et paraissent au hasard des découvertes des chercheurs.

D'autres encore, écrits pourtant dans les langues européennes de grande diffusion, y compris l'allemand, ont mis plus de cinquante ans à nous parvenir. C'est le cas du Journal de Victor Klemperer, tenu tout au long de sa vie,[...]

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