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LITTÉRATURE ENGAGÉE

Une expression dénaturée

La « médiocrité » de certaines œuvres engagées ne saurait pourtant masquer ni les questions que la notion implique, ni les travaux importants qui lui sont dus. Car, une fois qu'une œuvre est caractérisée comme « engagée », il reste encore à définir pourquoi, pour qui et contre quoi... S'il est acquis que la valeur d'une œuvre est in fine indépendante de la justesse des combats dans lesquels elles est engagée, la notion même implique qu'on se préoccupe des orientations défendues par l'œuvre. Et, paradoxe souvent omis, si la littérature engagée s'est commise avec des régimes ou des systèmes condamnables, elle fut aussi l'arme, bien fragile, de ceux qui tentaient d'y résister ou de s'y opposer : on le voit par exemple avec les poèmes du Turc Nazim Hikmet. Ainsi, si le réalisme socialiste à la française a produit nombre d'écrits édifiants, la lutte contre le stalinisme s'est appuyée à son tour sur des poèmes engagés, des fictions comme Le Zéro et l'infini (1940) d'Arthur Koestler ou les satires politiques de George Orwell (La Ferme des animaux, 1945).

Force est de reconnaître que l'expression a été bien souvent dénaturée, et que si elle est encore employée, c'est le plus souvent pour s'en défier (comme jadis les surréalistes) ou la récuser. Après avoir été, dans les années 1950 et 1960, l'une des expressions clés de la littérature, que l'on s'y oppose ou que l'on y adhère, la « littérature engagée » est devenue par trop synonyme d'embrigadement, de délaissement des questions esthétiques au seul profit de la rhétorique politique. La désaffection qu'elle connaît traduit en outre la perte d'espérance dans la puissance active de l'écriture, au profit du seul travail sur le langage. Reste que si les auteurs se réclamant d'une telle démarche sont aujourd'hui moins nombreux, la littérature militante n'a pas pour autant cessé d'être. Le signifiant « littérature engagée » semble piégé par son histoire. Mais ce qu'il désignait continue bel et bien d'exister.

— Olivier NEVEUX

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Écrit par

  • : maître de conférences en arts du spectacle à l'université de Strasbourg-II-Marc-Bloch

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