LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE
L'idée de littérature épistolaire a subi au xxe siècle une double restriction. D'une part, on a dénié à cette forme d'écriture la qualité d'« art », et G. Lanson a rejeté la notion de genre épistolaire hors du domaine littéraire ; aussi, dans l'inconscient culturel, réduit-on couramment la littérature épistolaire au roman par lettres, et seul le prestige persistant des Liaisons dangereuses semble lui conserver une part de vie. D'autre part, l'expansion des médias audiovisuels contribue à faire croire que la correspondance par écrit est un usage périmé. Ces deux restrictions s'entretiennent mutuellement.
Pourtant, le moindre effort de mémoire suffit à montrer l'abondance et l'importance de la forme épistolaire dans notre héritage culturel : surgit aussitôt le souvenir de Mme de Sévigné, et celui des Lettres de Cicéron, celui des Lettres philosophiques de Voltaire, celui encore des « petites lettres » de Pascal, les Provinciales. Et s'y adjoignent d'autres noms et titres d'une aussi grande notoriété : Diderot pour sa Lettre sur les aveugles, ou ses Lettres à Sophie Volland, ou encore, dans l'univers du roman, Rousseau et La Nouvelle Héloïse, Goethe avec Werther... Dans la production contemporaine, le genre de la « lettre ouverte », souvent lié à des polémiques et scandales, jouit d'une solide vitalité y compris dans des formes de large diffusion, comme en témoigne la lettre ouverte en forme de chanson de Boris Vian, Le Déserteur, qui suscita censures et remous. Et parmi les revues et journaux d'aujourd'hui, outre ceux qui portent en titre « La Lettre de... », la plupart consacrent une rubrique au « courrier des lecteurs ». Ainsi, un rapide tour d'horizon atteste aussi la permanence de la pratique de la lettre et des publications qui lui sont liées.
Il révèle, enfin, leur diversité, qui fait à la fois la force de ce type d'écriture à la plastique polymorphe, et la difficulté de son analyse. On est alors conduit à envisager l'existence d'un noyau commun aux différentes formes de cette production, au-delà de l'identité formelle extérieure – noyau suffisamment solide pour que des courants et esthétiques variés aient pu se développer, à partir d'une même structure fondamentale, en des genres ayant chacun sa propre histoire.
Une pragmatique et deux esthétiques
Chez les auteurs qui ont pratiqué ou théorisé l'art épistolaire, on retrouve très constamment l'idée que la lettre porte à la fois présence et absence, qu'elle est un substitut de l'entretien oral ; ainsi Vaumorière, un auteur de manuel épistolaire, en donnait en 1689 cette définition de départ : « Qu'est-ce qu'une lettre ? Un écrit envoyé à une personne absente pour lui faire savoir ce que nous lui dirions si nous étions en état de lui parler. » Et tous ces auteurs appliquent à l'écriture des lettres les mêmes catégories rhétoriques qu'ils utilisent pour le discours oral et la conversation.
La communication épistolaire
Certes, la lettre présente avec la conversation des similitudes fondamentales. La situation de base est la même : dans les deux cas, il y a communication par un message verbal, auquel le destinataire peut répondre. Dans les deux cas, l'énoncé constitue un discours au sens scientifique du terme, c'est-à-dire un acte de communication privilégiant la relation entre celui qui s'exprime et le destinataire, une relation où le locuteur exerce par son propos une action sur son auditeur ou lecteur pour l'informer, l'émouvoir ou le convaincre. Cependant, la correspondance et l'entretien oral diffèrent sur un point essentiel : la lettre est une communication à distance, et donc une communication différée. Les mots n'y jouissent plus du soutien des gestes, attitudes, mimiques et intonations,[...]
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Écrit par
- Alain VIALA : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle et à l'université d'Oxford
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