LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE, notion de
L'expression littérature épistolaire désigne tout texte qui relève de la situation pragmatique de la correspondance et peut être lu hors de cette situation ; elle paraît ainsi contradictoire : les régimes de vérité de la littérature et de la lettre semblent mal s'accorder. Le premier se trouve du côté d'une fabrication visant à plaire à un public, du côté d'une certaine fiction, quand le second semble reposer sur une forme de transparence de l'écrivain à l'égard de son destinataire. L'expression renvoie en outre à des textes de statuts différents : elle peut désigner des lettres authentiques finalement reçues comme œuvre par un public auquel elles ne sont pas destinées (c'est le cas exemplaire des lettres de Mme de Sévigné, dont un premier choix fut publié en 1725), ou bien une fiction qui aurait choisi de prendre l'apparence d'une correspondance (c'est le cas des Liaisons dangereuses, 1782, de Chaderlos de Laclos).
L'histoire de la littérature épistolaire est étroitement liée à la pratique réelle, historique et sociale, de la correspondance : son extension à l'époque moderne tient à la multiplication des moyens et des pratiques de la lettre, tant chez les érudits (à partir du xvie siècle) que chez les mondains (à partir du xviie siècle). Aussi la littérature épistolaire, jusqu'à cette époque, est-elle périphérique ; si la production de lettres philosophiques, comme les Lettres à Lucilius (62-65) de Sénèque, est abondante, la fiction en revanche connaît peu d'exemples d'emploi de cette forme. Ovide, dans ses Héroïdes (vers 25 av. J.-C.), en exploite les potentialités lyriques ; les Lettres d'Abélard et Héloïse (vers 1130), au Moyen Âge, témoignent de ce lien de l'épistolaire et du récit amoureux – encore s'agit-il d'une correspondance véritable.
L'épistolaire devient dans la république des Lettres un outil de réflexion. Il permet d'une part d'échanger des informations, d'autre part de défendre telle ou telle thèse : les lettres éloquentes et savantes, qui tirent leurs règles de la rhétorique antique, trouvent en Érasme un promoteur décidé. Étienne Pasquier, dans ses Lettres (1586), puis Jean-Louis Guez de Balzac (1624) font de l'épistolaire le lieu d'une forte invention rhétorique et stylistique. Mais c'est avec les Provinciales (1656-1657) de Blaise Pascal que la forme épistolaire joue de ses pouvoirs propres avec le plus d'efficacité. L'usage d'une situation fictive permet de faire de la question théologique un sujet public de débats, et le succès du texte montre que les avantages de naturel et de simplicité du genre peuvent plaire et convaincre. Cette dimension argumentative de la lettre se continue, du xviiie siècle jusqu'à l'époque contemporaine : les lettres philosophiques, pour Voltaire comme pour Diderot, ou les lettres ouvertes demeurent un moyen, en prenant l'opinion publique à témoin, et donc en l'impliquant dans le débat, de légitimer la position que le scripteur défend. Zola, pour intervenir dans l'affaire Dreyfus, choisit avec son célèbre J'accuse (janvier 1898) un tel procédé.
Mais la lettre peut aussi mettre ses effets propres de vraisemblance et de conviction au service de la fiction romanesque : c'est le cas dès lors que la pratique épistolaire est devenue suffisamment familière au public visé par cette fiction. Ainsi dans la seconde moitié du xviie siècle : le Roman des lettres (1667) de François Hédelin d'Aubignac, et surtout les Lettres portugaises (1669) imposent le genre. Ce dernier texte jouit d'un statut particulier : le public s'interrogea pendant trois siècles sur son auteur, et s'il est désormais attribué à un écrivain, Guilleragues, il dut aussi son succès à son authenticité[...]
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Écrit par
- Alain BRUNN : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres modernes, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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