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LITTÉRATURE ÉPISTOLAIRE

De la tradition savante à la vie sur le vif

L'héritage de l'Antiquité

La complexité de la production épistolaire se trouve encore accrue par la double généalogie qui est la sienne : elle repose sur une tradition savante – les lettrés ayant longtemps été les seuls détenteurs des compétences culturelles nécessaires à la pratique de la correspondance –, mais sa plus grande extension est liée au phénomène social que fut l'« explosion » des usages épistolaires dans les milieux mondains de culture moyenne.

Parmi les premiers témoignages d'écriture dont nous disposons, plusieurs relèvent de l'usage épistolaire : par exemple, en akkadien, un contrat de reconnaissance de dettes (lettre cappadocienne – en fait, une tablette d'argile – datant du xixe-xviiie s. av. J.-C.), ou encore une missive de type diplomatique (de Rib-Addi, prince de Byblos, au pharaon, 1364-1347 av. J.-C.) ; en Égypte, certains textes illustrent le fonctionnement d'un système clérical (lettre – sous forme de papyrus – de Menkheperré, premier prêtre d'Amon, au prêtre et scribe du temple Horemakhbit, env. 1050 ou 1000 av. J.-C.), d'autres matérialisent un certain rapport à la magie (message adressé à un mort, écrit sur la face externe d'un bol de terre cuite, env. 2200-2000 av. J.-C.). Il reste que la littérature épistolaire telle que nous la concevons trouve son origine dans des textes grecs, et surtout latins, qui offrent une assez grande variété de formes : des Héroïdes d'Ovide, poèmes en forme de lettres où s'épanchent les plaintes d'amants séparés, aux réflexions morales des Lettres à Lucilius de Sénèque, le contraste est net. Cependant, les auteurs de l'Antiquité sont en règle générale des hommes de savoir autant que des écrivains d'art. On le voit avec les Épîtres d'Horace qui reprennent dans la forme versifiée le modèle de la lettre morale qu'Épicure, Varron et Caton avaient pratiquée en prose. On le voit surtout chez Cicéron, modèle majeur de l'art de la lettre, et dont l'abondante production offre une large gamme de tours et de tons : sociabilité amicale mêlée aux questions politiques et morales dans ses lettres Ad Atticus, questions privées dans les lettres Ad Familiares, conseils de morale dans celles qui sont adressées à son frère cadet Quintius.

Au Moyen Âge, cet héritage périclita ou se perdit, les usages effectifs de la lettre s'étant considérablement réduits ; les Formulaires médiévaux n'ont guère d'autre objet que de codifier, de façon très mécanique, les conventions nécessaires et affichées dans les missives d'ordre officiel. Pour celles-ci, en effet, si l'expéditeur et le destinataire sont de puissants personnages (rois, hauts barons, princes de l'Église), le scripteur effectif est en général un clerc, à qui l'on a indiqué le thème et la trame, mais qui doit assurer la mise en forme des discours : d'où la constitution d'epistolaria qui ordonnent les étapes de cette mise en forme. De plus, en ces temps de communications difficiles, la lettre diplomatique doit souvent se substituer à la négociation de vive voix et se développe en longs argumentaires auxquels les conventions inhérentes au langage diplomatique donnent un tour volontiers redondant. La papauté, par son statut de puissance politique autant que spirituelle, et par son rôle fréquent de médiatrice dans les conflits entre États, constitua le principal foyer de cette élaboration de modèles fixes. Un assouplissement de l'art épistolaire se dessine cependant dès le xve siècle, avec un regain de la lettre didactique, dans sa forme littéraire (Épître d'Othea, de Christine de Pizan).

L'art de la lettre connut un tout autre sort avec la Renaissance. Les épistoliers anciens, redécouverts, y furent peu à peu édités,[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle et à l'université d'Oxford

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Jean-Jacques Rousseau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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