GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA
Le terme « gothique » connaît de multiples acceptions. Outre le style bien connu et la référence au monde barbare, il permet de caractériser un ensemble d’œuvres romanesques publiées en Angleterre à la fin du xviiie siècle et au début du xixe siècle (1764-1820) qui ont connu une grande popularité, en particulier auprès du public féminin. Ce courant littéraire baptisé « roman noir », « roman terrifiant » ou « roman gothique » naît durant la période néoclassique et se développe à l’époque romantique, dans le contexte de la Révolution française. Il est aussi tributaire de la graveyardpoetry (l’amour des ruines et des cimetières), de l’héritage shakespearien (le contexte médiéval et la violence des passions) et de la tradition allemande des Märchen et autres récits de fantômes. Certains auteurs comme Horace Walpole, William Beckford, Ann Radcliffe, M. G. Lewis ou Charles Robert Maturin sont passés à la postérité. D’autres, les plus nombreux, sont oubliés mais ont pu faire l’objet d’une redécouverte critique.
Le courant gothique se prolonge bien au-delà de cette période pour se décliner en avatars multiples, d’abord littéraires et scéniques puis cinématographiques. Au cours des xxe et xxie siècles, il irrigue la culture populaire en Europe, aux États-Unis, mais aussi en Asie (les lolitas gothiques au Japon), et investit la bande dessinée, la musique et la mode (goth culture). Comme le rappelle Maurice Lévy, « peu de mots ont eu une évolution sémantique aussi tourmentée que le mot “gothique”. Sans doute est-il normal que les termes désignant des concepts de critique littéraire évoluent : les mots vivent et leur sens se transforme. […] Le terme en est venu à désigner tout ce qui, en littérature, sur nos écrans ou dans la vie, inspire peur, terreur, horreur, angoisse ou épouvante. »
Un art de la transgression
La plupart des récits gothiques se démarquent de la narration linéaire en lui substituant un emboîtement de récits qui brise le pouvoir d’une voix narrative unique et omnisciente. Cette fiction est le lieu où les éléments liés à l’imaginaire dominent, où l’étrange, l’insolite, voire le surnaturel sont privilégiés au détriment d’une peinture de la normalité quotidienne.
Le récit gothique suscite auprès du lecteur une intensité émotionnelle associée à l’horreur organique ou à la terreur. Concourent à ces effets l’information retardée, l’équivoque et le suspense, mais aussi l’exhibition théâtralisée de phénomènes d’altérité angoissante. Le gothique se caractérise également par la notion d’enfermement dans un lieu sinistre, isolé (château en ruine perché sur un promontoire, abbaye perdue au fond des bois), mais aussi par l’errance et la confrontation avec un espace naturel sublime. Le paysage devient alors pour l’héroïne un cadre quasi pictural, le support d’émotions esthétiques tout autant qu’un lieu de conflit avec des personnages inquiétants et prédateurs.
En dehors de ces traits distinctifs liés à l’espace et au décor, le gothique se définit par l’emploi de schémas narratifs et de personnages emblématiques. Les situations rencontrées par les protagonistes relèvent de l’excès, de la transgression des limites, de l’extraordinaire qui se manifeste par les voies de la surnature ou de la transcendance d’origine divine ou diabolique. Le « scélérat gothique » (gothicvillain) se caractérise par sa volonté de puissance, l’exercice d’un pouvoir tyrannique associé à la sujétion de la femme et à la tentative d’appropriation de ses biens mais aussi de son corps. Conflit qui provoque la fuite de l’héroïne à travers l’espace intérieur dédaléen de la gothic enclosure. Un autre motif récurrent est celui du pouvoir illégitime et de l’usurpation, hérité des medieval romances.
Le gothique est enfin le lieu de la quête identitaire[...]
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Écrit par
- Gilles MENEGALDO : professeur émérite à l'université de Poitiers
Classification
Médias
Autres références
-
ROMAN POPULAIRE
- Écrit par Jean TULARD
- 4 060 mots
Les sombres péripéties du roman gothique anglais (Udolpho, Le Moine et Melmoth), pleins de fantômes et de démons, puis les inépuisables aventures d'enfants trouvés ou perdus chères à Ducray-Duminil, à Pigault-Lebrun ou au vicomte d'Arlincourt ont eu une influence décisive sur la genèse du roman populaire....