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GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

Une plongée dans l’inconscient : le gothique victorien et fin de siècle

L'Angleterre victorienne n'a pas renié, malgré l'orientation réaliste de sa littérature, la tradition gothique. Il y a dans WutheringHeights (1847) d’Emily Brontë des doigts glacés qui cognent aux vitres, une lande sinistre et un héros noir byronien (Heathcliff) ; dans Jane Eyre (1847), de sa sœur Charlotte, un aristocrate ombrageux et une démente enfermée dans le grenier d’un château ; et, dans certains romans de Dickens, des présences ténébreuses, voire spectrales. Les romans à sensation de Wilkie Collins (The Woman in White, 1860 ; The Moonstone, 1868) associent le gothique et la science pour analyser les mécanismes de la conscience et l’aliénation mentale, souvent au cœur du récit. Collins explore le motif de la dégénérescence comme Arthur Machen (The ThreeImpostors, 1895), qui « gothicise » la ville de Londres, devenue un labyrinthe urbain propice aux rencontres. Dans The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, (1886), R. L. Stevenson convoque le mode gothique pour décrire la partie arrière de la maison bourgeoise de Jekyll et son laboratoire secret. Hantant de nuit les rues embrumées de la ville, piétinant une petite fille et tuant à coup de canne un respectable gentleman, Hyde, double simiesque du respectable médecin, incarne « l’homme des foules » imaginé par E. A. Poe.

Dracula (1897), de Bram Stoker, représente un avatar tardif et nostalgique du gothique. Ce roman épistolaire est constitué de plusieurs récits emboîtés : le journal de Jonathan Harker, compte rendu de son voyage en Transylvanie et de son séjour au château du comte ; les lettres des personnages féminins, Lucy Westenra et Mina Harker ; le journal intime du Dr Seward, médecin aliéniste ; le mémorandum du professeur Van Helsing. Le roman met aussi en relief le voyage, et particulièrement la Transylvanie, cadre spectaculaire et sublime pour les aventures de Harker, qui découvre un monde inquiétant, régi par des lois inconnues. Le château draculéen est proche du château gothique archétypal et certains traits se retrouvent à Londres dans l’abbaye de Carfax, réplique en mineur, et dans la maison achetée par Dracula à Piccadilly. La touche macabre, caractéristique du récit gothique, est présente dans de nombreux épisodes, comme l’errance nocturne de Lucy, transformée en bloofer lady, dame sanglante en quête de proies enfantines, ou encore la décapitation des femmes vampires. Le gothique stokerien ne se limite pas à cet emploi des conventions : il prend en compte le contexte fin de siècle et la modernité scientifique, comme l’avaient fait avant lui Collins et Stevenson. Contrairement aux romans gothiques décadrés spatialement (Italie ou Espagne) et temporellement (Moyen Âge ou Renaissance), Dracula se déroule dans l’Angleterre victorienne, au cœur de la métropole anglaise. Cette dimension urbaine du gothique est présente avant lui chez George W. M. Reynolds dans The Mysteries of London (1844) ainsi que dans les romans de Dickens.

En 1897 paraît The Beetle de Richard Marsh, exemple de « gothique impérial » où une femme d’origine égyptienne, pouvant se métamorphoser en scarabée, vient séduire des hommes et des femmes pour les offrir en sacrifice à la déesse Isis. On peut lire dans ce récit la crainte d’une « colonisation à rebours » de l’empire britannique, la métaphore d’une contamination par l’étranger exotique, associé à une sexualité prédatrice semblable à celle de Dracula qui vient à Londres pour s’approprier les femmes victoriennes. Les récits de M. R. James, maître de la ghost story, ont pour cadre des églises, des universités, des bibliothèques, des manoirs, des jardins labyrinthiques. Les livres et autres objets (manuscrits runiques, statues, tableaux, poupées) et les bruits insolites y jouent un rôle essentiel dans[...]

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<em>Le Cauchemar</em>, J. H. Füssli - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Le Cauchemar, J. H. Füssli

<em>Frankenstein ou le Prométhée moderne</em>, T. von Holst - crédits : Private Collection/ Bridgeman Images

Frankenstein ou le Prométhée moderne, T. von Holst

<em>Dracula</em>, T. Browning - crédits : The Granger Coll NY/ Aurimages

Dracula, T. Browning

Autres références

  • ROMAN POPULAIRE

    • Écrit par
    • 4 060 mots
    Les sombres péripéties du roman gothique anglais (Udolpho, Le Moine et Melmoth), pleins de fantômes et de démons, puis les inépuisables aventures d'enfants trouvés ou perdus chères à Ducray-Duminil, à Pigault-Lebrun ou au vicomte d'Arlincourt ont eu une influence décisive sur la genèse du roman populaire....