GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA
Mémoire et folie : le gothique américain
Charles Brockden Brown inaugure une thématique de l’enfermement géographique et psychique, et intègre au gothique la terreur archaïque de la wilderness (Edgar Huntly, 1799), cette frontière incertaine entre humanité et sauvagerie qui imprègne la culture américaine, jetant les bases d'une littérature nationale. Les romances de Brown sont aussi bien marquées par l'intrusion de la terreur que par la finesse psychologique du novel. Dans Wieland, or The Transformation: An American Tale (1798), Brown ouvre une hypothèse qui anticipe la double problématique exprimée par Poe, celle du fantastique ou celle de la folie.
Dans The ScarletLetter (1850) et The House of the Seven Gables (1851), Nathaniel Hawthorne évoque le passé calviniste et traumatique de l’Amérique et explore le concept puritain du mal. Ses nouvelles revisitent des motifs gothiques comme la vaste demeure, la forêt hantée ou le portrait animé, mais mettent aussi en relief le paysage américain, en particulier la wilderness associée à un espace infernal et archaïque dans Young Goodman Brown. De son côté, dans les nouvelles réunies en recueil après sa mort (Tales of Mystery and Imagination et Tales of the Grotesque and the Arabesque), Edgar Allan Poe intériorise le gothique. Il conserve certains topoï (château, huis clos, brouillage des limites entre vie et mort, spectralité, vampirisme psychique, doubles, masques et miroirs), avec parfois une touche grotesque (Hop-Frog), tout en accentuant la dimension psychologique de ses fictions (obsession, fantasmes, phobies, identité clivée) et en leur ajoutant une dimension philosophique qui leur confère une grande modernité.
The Turn of the Screw (1898), version fin de siècle de Jane Eyre, a pour cadre un grand manoir, proche d’un étang, avec une tour médiévale où apparaît un spectre. Mais le récit très élaboré d’Henry James rejette les clichés gothiques pour mettre l’accent sur l’intériorité psychique de la jeune gouvernante qui est aussi la narratrice. Le roman maintient jusqu’au bout la possibilité de deux lectures différentes. Les fantômes qui possèdent les enfants Flora et Miles sont-ils réels ou, au contraire, ne sont-ils que des projections de l’esprit tourmenté et malade de la gouvernante, amoureuse de son inaccessible employeur ? Ce roman a fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques, dont celle de Jack Clayton (The Innocents, 1961) qui renforce l’ambiance gothique en ajoutant des motifs comme les statues animées, mais maintient jusqu’au dénouement l’ambiguïté du sens.
L’imaginaire gothique se prolonge dans les années 1930 avec H. P. Lovecraft, en particulier dans ses récits inspirés par Poe (The Outsider, The Tomb), mais aussi dans le southerngothic. Ce sous-genre, d’abord représenté par William Faulkner, qui recycle de nombreux tropes gothiques dans Sanctuary, Carson McCullers (The Ballad of the SadCafe), Flannery O’Connor (Wise Blood) ou Tennessee Williams, s’est perpétué avec des écrivains comme Harry Crews ou Joe R. Lansdale. Ces textes ont en commun un imaginaire de la ruine, de la perversion et de la folie, un goût pour le macabre et le grotesque, un lien fort avec les lieux sudistes (la demeure coloniale, le marais), leurs mythes, leur culture, leurs peurs enfouies et leurs terreurs inavouées. Dans un autre registre, Shirley Jackson exploite les conventions gothiques pour mettre en scène différentes formes d’aliénation contemporaine. Dans The Haunting of Hill House (1959), elle explore des thématiques comme l’exclusion, les préjugés sur l’homosexualité au prisme d’un personnage féminin solitaire, inadapté et frustré qui tente, sans succès, de se forger une nouvelle identité, loin de l’emprise familiale et de la hantise de la mère morte. Ce roman sera porté à l’écran par Robert Wise (The Haunting, 1963).
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Écrit par
- Gilles MENEGALDO : professeur émérite à l'université de Poitiers
Classification
Médias
Autres références
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ROMAN POPULAIRE
- Écrit par Jean TULARD
- 4 060 mots
Les sombres péripéties du roman gothique anglais (Udolpho, Le Moine et Melmoth), pleins de fantômes et de démons, puis les inépuisables aventures d'enfants trouvés ou perdus chères à Ducray-Duminil, à Pigault-Lebrun ou au vicomte d'Arlincourt ont eu une influence décisive sur la genèse du roman populaire....