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GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

Terreur et onirisme : le gothique au cinéma

<em>Dracula</em>, T. Browning - crédits : The Granger Coll NY/ Aurimages

Dracula, T. Browning

Hollywood a ignoré les textes fondateurs du gothique en raison de leurs récits contournés, leurs intrigues mélodramatiques, leurs effets désuets et leur idéologie problématique où la polémique religieuse et le sous-texte sexuel occupent une place importante. En revanche, le cinéma s’est très vite emparé des grandes figures mythiques comme Frankenstein et sa créature, Jekyll-Hyde ou Dracula. Le Nosferatu (1922) de F. W. Murnau précède l’âge d’or des films d’horreur hollywoodiens. Tourné en décors réels que la mise en scène rend oniriques, il combine une esthétique picturale inspirée des tableaux de Caspar David Friedrich et une approche documentaire. Du Dracula (1931) de Tod Browning, qui avait déjà réalisé une version parodique du mythe dans London AfterMidnight (1927), on retiendra la scène de la crypte avec les femmes vampires et l’arrivée du voyageur imprudent Renfield dans le hall du château, perdu dans un décor immense dominé par un escalier monumental où s’inscrit une toile d’araignée géante. Ce film codifie pour longtemps le mythe du vampire, mettant en relief tous les attributs et accessoires qui seront repris par la suite : la cape noire, le regard hypnotique et la diction singulière du vampire (Bela Lugosi), le crucifix, le miroir, l’ail, le pieu, etc.

Dans Frankenstein (1931), James Whale exploite les tropes de la verticalité et de l’isolement, et conjugue l’archaïsme de la tour laboratoire gothique, sa structure labyrinthique, ses escaliers tortueux et la modernité futuriste des appareils scientifiques conçus par K. Strickfaden. Dans The Bride of Frankenstein (1935), la fiancée (Elsa Lanchester, qui incarne aussi Mary Shelley) est « mise au monde » au cours d’une scène spectaculaire où se conjuguent la théâtralité du décor gothique, la beauté des éclairages expressionnistes, la performance des comédiens dont l’exaltation grandissante est suggérée par des gros plans, des contre-plongées et des cadrages obliques. Whale introduit le Docteur Pretorius (Ernest Thesiger), qui tend à voler la vedette à Frankenstein. Filiforme, le visage anguleux, le regard perçant, il est proche de l’archétype du savant fou associé ici à un savoir archaïque (les homoncules) et non à la science moderne. Il apparaît comme un être démoniaque qui force Frankenstein à créer une fiancée pour le monstre, en vue de donner naissance à une nouvelle race.

Le cycle du studio Universal se poursuit jusqu’à la fin des années 1940, avec des parodies, House of Dracula (Erle C. Kenton) ou House of Frankenstein, qui réunissent les divers monstres, Dracula, la créature de Frankenstein, la momie, etc. D’autres studios exploitent le gothique, ses décors et ses excès proliférants, comme RKO dans The Most Dangerous Game (E. B. Schoedsack et I. Pichel, 1932) ou Mystery of the Wax Museum (Michael Curtiz, 1932).

Les conventions du genre vont être revisitées dans un cycle de mélodrames gothiques. Ces films dont Rebecca (Alfred Hitchcock, 1941), Gaslight(George Cukor, 1944), ExperimentPerilous (Jacques Tourneur, 1944) mettent en scène l’assujettissement d’une belle jeune femme à un mari plus âgé, figure paternelle substitutive et tyrannique qui la pousse à la folie ou au suicide. Dans ces œuvres, le portrait peint, agissant comme révélateur, figure souvent un rapport traumatique ou obsédant au passé et à la mort. Ces tableaux sont presque toujours des portraits de femme, à l’exception notable du Portrait de Dorian Gray (Albert Lewin, 1945). Dans ExperimentPerilous, Allida n’est présente que comme son propre fantôme. Le portrait est son mémorial, son propre tombeau. Elle-même en devient presque superflue, menacée de pétrification par son double pictural.

Dans les années 1940 et 1950, Hollywood exploite aussi le motif du fantôme. The Uninvited (Lewis Allen, 1944) met en scène deux[...]

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<em>Le Cauchemar</em>, J. H. Füssli - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Le Cauchemar, J. H. Füssli

<em>Frankenstein ou le Prométhée moderne</em>, T. von Holst - crédits : Private Collection/ Bridgeman Images

Frankenstein ou le Prométhée moderne, T. von Holst

<em>Dracula</em>, T. Browning - crédits : The Granger Coll NY/ Aurimages

Dracula, T. Browning

Autres références

  • ROMAN POPULAIRE

    • Écrit par
    • 4 060 mots
    Les sombres péripéties du roman gothique anglais (Udolpho, Le Moine et Melmoth), pleins de fantômes et de démons, puis les inépuisables aventures d'enfants trouvés ou perdus chères à Ducray-Duminil, à Pigault-Lebrun ou au vicomte d'Arlincourt ont eu une influence décisive sur la genèse du roman populaire....