GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA
Le mythe transformé : le néogothique
À la fin des années 1960, Angela Carter commence à publier des récits très originaux, fondés en partie sur une réinterprétation ironique de motifs comme la maison gothique, espace domestique carcéral et aliénant pour la femme. Dans The Bloody Chamber and Other Stories (1979), elle réécrit des contes de fées canoniques comme « Le Petit Chaperon rouge » ou « Barbe-Bleue », symbole du pouvoir patriarcal. Dans The Passion of New Eve (1977) et Nights at theCircus (1984), elle convoque des images de persécution et de terreur pour analyser les relations de pouvoir (parfois sadomasochistes) dans la passion amoureuse. Ses récits souvent hybrides (conte de fées, roman victorien, science-fiction, utopie) et nourris d’une riche intertextualité (Poe, Melville, Sade, etc.) se caractérisent par la parodie, l’exagération, le grotesque et par des stratégies d’inversion et de subversion. Angela Carter emploie le motif de l’Autre monstrueux pour mettre en lumière la monstruosité d’une société qui se veut respectable. Cette écrivaine qualifié de postfeministgothicwriter a eu une grande influence sur d’autres auteurs de sensibilité proche comme Jeanette Winterson, Sarah Waters et Fay Weldon.
Dans The Grotesque (1989), Patrick McGrath réintroduit subtilement des éléments de la convention gothique en les détournant. Crook, le grand manoir du xvie siècle, décrit à l’instar de la maison Usher d’Edgar Poe en termes anthropomorphes, est exposé au vent du sud qui, selon la légende locale, apporte corruption et vapeurs nocives. Le marais tout proche cache dans ses profondeurs de macabres vestiges alors qu'un monstrueux brochet prédateur se dissimule dans la carcasse d'un bovin. À ce cadre sinistre et inquiétant s’ajoute un personnage maléfique, qui rappelle le villain des récits gothiques. Le rôle est ici tenu non par Sir Hugo Coal, paléontologue paralytique, autrefois tyran domestique, mais par son majordome Fledge, être malfaisant et manipulateur. Fledge, comme le Satan de Milton, se révolte contre sa condition, et finit par remplacer l'aristocrate qu’il déteste et méprise, inversant le rapport maître-esclave. Le roman illustre le thème gothique de l’usurpation et de la transgression. McGrath prolonge cette veine dans Dr Haggard’sDisease (1993), récit d’obsession et de folie paranoïaque, ou Martha Peake (2000) qui déplace le mythe de Frankenstein dans le contexte de la guerre d’indépendance américaine mais célèbre aussi la fiction qui a le pouvoir de « ressusciter les morts et animer leurs os ».
De nombreux écrivains se nourrissent de cette tradition gothique, comme Stephen King qui revisite entre autres le mythe du vampire (Salem’s Lot), Graham Masterton qui réécrit certains textes canoniques comme The Picture of Dorian Gray, Ramsey Campbell qui développe un gothique urbain ancré à Liverpool ou Chuck Palahniuk, qui articule dynamique gothique et esthétique grotesque.
De Hitchcock ou Franju à Kubrick, Lynch ou Cronenberg, les cinéastes disséminent des traces gothiques dans leurs films et revisitent des décors qui sont des avatars parfois modernisés de la gothic enclosure (le motel isolé de Psycho [1960], son escalier et sa cave, l’hôtel et le labyrinthe de The Shining [1980]), et des schèmes narratifs (transgression, victimisation, parcours initiatique). Le gothique a accompagné le retour de la figure du vampire avec le Dracula « romantisé » de John Badham en 1979 et celui de Francis Ford Coppola en 1992, mais aussi Interview with a Vampire de Neil Jordan, adaptation du roman d’Ann Rice qui modernise la mythologie vampirique. Dracula et la créature de Frankenstein continuent de stimuler l’imaginaire des cinéastes et des scénaristes de télévision (la série Penny Dreadful). Terry Gilliam développe un univers gothique dans Tideland (2006), tout comme John Carpenter, dont[...]
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Écrit par
- Gilles MENEGALDO : professeur émérite à l'université de Poitiers
Classification
Médias
Autres références
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ROMAN POPULAIRE
- Écrit par Jean TULARD
- 4 060 mots
Les sombres péripéties du roman gothique anglais (Udolpho, Le Moine et Melmoth), pleins de fantômes et de démons, puis les inépuisables aventures d'enfants trouvés ou perdus chères à Ducray-Duminil, à Pigault-Lebrun ou au vicomte d'Arlincourt ont eu une influence décisive sur la genèse du roman populaire....