LITTÉRATURE & PSYCHANALYSE
Un transfert avec le texte ?
C'est déjà quelque chose de poser dans le rapport à une œuvre singulière cet analogon du dialogue de deux inconscients comme mode privilégié de travail critique et psychanalytique – ici nous sommes en droit de dire textanalytique, selon le terme que j'ai proposé vers 1980. Cette façon de faire est productive. Et, pour montrer qu'elle a des répondants anciens, je citerai le « commentaire » (c'est son mot) de René Spitz dans un article de la Revue française de psychanalyse de 1934 consacré au Vagadu de Pierre Jean Jouve ; le cas est particulier, et adapté à une analyse authentique puisque l'héroïne, Catherine Crachat, est elle-même présentée en cours d'analyse avec un médecin, mais le résultat de la lecture est très suggestif. On voit mal comment il est possible d'échapper à cette « séduction » du protagoniste lorsqu'on se plonge dans les récits pour ainsi dire monographiques – comme « Un cœur simple » et « La Légende de saint Julien l'Hospitalier » des Trois Contes, où Flaubert reconstitue toute la vie de Félicité ou de Julien. À beaucoup d'égards, cette manière d'écouter un texte imite, retrace les allures visibles de la cure. Mais qu'en serait-il avec Hérodias, où l'on ne sait quel fil saisir : le Tétrarque, par qui tout est vu, sa femme qui machine le crime, ou Jean-Baptiste, la victime ?
N'y a-t-il pas quelque chose de trompeur dans l'assimilation entre lecteur-héros et patient-thérapeute ? L'analyste est un être, en tout cas une fonction double : ce qu'il est pour lui-même ne rencontre que par ricochets ou par points de faufilage ce qu'il représente pour l'analysant, lequel est flanqué de l'enfant maudit qu'il cherche à n'avoir pas été. La partie se joue au moins à quatre, jamais à deux. Et puis, un récit se réduit-il vraiment à la stature d'un héros ? Parler de texte en opposant ce terme à celui de fiction permet déjà d'éclaircir le problème. Il y a une fâcheuse, une ruineuse tendance chez les lecteurs à penser que la fiction est d'abord, voire exclusivement un raccourci de vie, cette aventure qu'on exprime en disant que « c'est l'histoire d'une femme qui... », en négligeant ainsi l'écriture précisément, ce qui rend un grand roman impossible à résumer. Ce qui s'est appelé le Nouveau Roman a été une tentative pour mettre en relief ce phénomène de façon radicale. Il n'y a plus de personnage, plus d'intrigue, plus rien qui soutienne un désir de s'identifier, de vivre une histoire par procuration. Alors ? Que se passe-t-il entre texte et lecteur, qui fasse attrait, attraction pour engager et entretenir la reviviscence ou le travail du sens ?
Au-delà des épousailles avec le fantasme de la fiction, il est possible d'instaurer une lecture des œuvres qui soit encore plus proche des exigences majeures de la psychanalyse et qui rende mieux compte des émotions souterraines du lecteur. Appelons cette opération : transfert avec le texte. On comprendra par cette formule une attitude d'entente et d'écoute qui se rende perméable à tous les effets d'inconscient qui naissent à l'occasion de la rencontre avec l'écrit et qui font d'elle une découverte de soi comme autre, dans l'autre, mais non analogue à l'autre.
Avant et afin d'explorer un peu cet état d'esprit différent, n'oublions pas de préciser qu'il s'ajoute aux efforts précédemment décrits pour entrer dans le travail inconscient du texte. Il peut, dans le meilleur cas, les prolonger, les accomplir. Il ne demande pas une conversion, il invite chacun à un plus total abandon, à une plus libre assomption de son engagement, de sa mise en résonance avec tout le texte. Deux points sont à considérer. D'abord, le texte en tant qu'il excède[...]
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Écrit par
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