LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE
Longtemps figé dans la guerre froide, le monde des années 1970 finissantes voit se fissurer les deux blocs antagonistes. Des voix dissidentes se font entendre à l’Est, tandis que l’Ouest s’insurge contre les dictatures soutenues par les puissances occidentales et contre le coup d’État chilien. De part et d’autre, on ne croit plus dans les grands discours collectifs. Dans un essai sur les nouvelles conditions du savoir, paru en 1979 (La Condition postmoderne), le philosophe Jean-François Lyotard diagnostique une défection envers les « métarécits de légitimation », ces discours idéologiques qui soutiennent l’action des peuples et des États, et note un repli sur des vérités plus partielles. Au cours de la décennie qui s’achève avec l’effondrement du mur de Berlin (1989) puis de l’Union soviétique (1991), la pensée se cherche. Le contexte socioéconomique aussi se modifie : les « Trente Glorieuses » (Jean Fourastié) touchent à leur fin. Les chocs pétroliers ont rendu l’énergie plus chère, le développement du tiers-monde offre une main-d’œuvre bon marché, vers laquelle les grandes industries délocalisent leur production. En France, le chômage devient endémique. La crise s’installe. Les réalités sociales, dont les avant-gardes littéraires avaient cru pouvoir s’affranchir, reviennent en force et frappent la culture de plein fouet.
Face à cette pression du monde, la littérature française traverse, au tournant des années 1975-1984, un profond renouvellement. Les avant-gardes, qui ont connu leur acmé avec Le Livre de Pierre Guyotat, Paradis de Philippe Sollers et les dernières œuvres de Samuel Beckett, s’essoufflent. Le lectorat tourne son attention vers d’autres écrivains, déjà à l’œuvre et plus accessibles : Michel Tournier, Patrick Modiano ou J.-M. G. Le Clézio, lui-même revenu de ses expérimentations initiales et désormais attentif aux cultures lointaines, méconnues et menacées. La production littéraire se fait moins solipsiste. La littérature, que Roland Barthes tenait pour « intransitive », reparle du monde, de l’homme, des questions sociales ; elle revient aussi sur les événements historiques à la fin d’un siècle traumatisé par les tragédies qui l’ont traversé. Elle le fait avec une telle exigence envers elle-même, un tel souci de justesse – et souvent de justice – que l’on parle parfois d’un « tournant éthique » de la littérature, ce qui ne l’empêche pas de se poser des questions esthétiques insistantes.
La fin des avant-gardes
La critique formaliste des années 1950 à 1970 a toutefois été si tranchante envers les genres littéraires autrefois dévolus à de tels objets – roman réaliste, littérature engagée, autobiographie, poésie lyrique, roman historique… – que les écrivains n’y peuvent revenir avec naïveté. Aussi leur faut-il trouver des formes nouvelles pour dire le monde contemporain, son désarroi, ses vicissitudes nouvelles, ses inquiétudes et ses bouleversements. Tel est, à la fin du « court xxe siècle » (Eric Hobsbawm), l’enjeu majeur de la littérature contemporaine. À la différence des époques antérieures, nul manifeste, nulle école constituée ne nomme explicitement cette esthétiquenouvelle. C’est que l’heure n’est plus aux groupes ni aux mouvements. Chacun cherche son chemin, sans que la théorie vienne préfigurer la voie du roman futur ni du théâtre à venir. Écrivain majeur de cette période nouvelle, Pascal Quignard parle d’une « déprogrammation de la littérature ».
La vie littéraire elle-même se modifie. Les grandes revues du xixe siècle ou du début du xxe (Revue des deux mondes, La Nouvelle Revue française, Mercure de France…) perdent de leur audience. Celles qui sont nées avec les dernières avant-gardes (Tel Quel, Change, TXT…) disparaissent peu à peu. À Tel Quel, publiée par les éditions du Seuil, succède [...]
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Écrit par
- Dominique VIART : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France
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