LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE
Des esthétiques de la lecture
À l’articulation des avant-gardes et de la littérature nouvelle, quelques grandes voix s’imposent : Pascal Quignard, dont l’écriture « sidérante » des Petits Traités (1981-1990) et du Dernier Royaume (11 volumes depuis 2002) élabore une vaste anthropologie historique et littéraire, en quête des fondements et des origines de l’être humain ; Valère Novarina, dont la parole dramatique, portée par le souffle et la profération, esquive la plupart des catégories traditionnelles – personnage et action – et se met en quête d’une parole singulière qui tient autant du théâtre que de la poésie (Le Discours aux animaux, 1987 ; La Chair de l’homme, 1995). Tous deux revisitent textes et formes énonciatives anciennes, favorisant une pratique de la lecture contre l’esthétique de la rupture auparavant prônée par les avant-gardes. Figure de l’écrivain lettré, Quignard puise dans toutes les cultures et légendes du monde, convoque les penseurs orientaux aussi bien que les contes inuits, ressuscite le xviie siècle janséniste (La Leçon de musique, 1987 ; Tous les Matins du monde, 1991) et promeut une rhétorique latine plus concrète que l’édifice conceptuel issu de l’Antiquité grecque (Albucius, 1990 ; La Raison, 1990 ; Rhétorique spéculative,1995). De son côté, Novarina se fait le chantre de l’homme comme animal parlant, renouant avec la forme biblique du verset pour d’infinies proférations aux identités diffractées, qui mêlent les langues et les cultures, les voix et les visions.
Les écrivains contemporains renouent ainsi avec les grandes œuvres du passé, non pour les imiter mais pour en nourrir leur propre production. Ils s’y réfèrent volontiers, engageant parfois un véritable dialogue avec elles. Nombre de résurgences formelles et thématiques caractérisent leurs productions : retour du récit dans l’écriture romanesque, néolyrisme en poésie, retour au sujet, au réel et même à l’histoire dans les objets traités. Mais aucun de ces « retours » ne retrouve les esthétiques antérieures, trop analysées par la critique structurale et contestées par les avant-gardes pour être reconduites telles quelles.
Ainsi du romanesque auquel les écrivains ne reviennent qu’avec une distance enjouée ou parodique. Jean Echenoz multiplie les variations sur les modèles du roman policier (Cherokee, 1983), d’aventures (L’Équipée malaise, 1987), d’espionnage (Lac,1989) ou d’anticipation (Nous trois,1992) ; plus tard sur les formes biographiques (Ravel, 2006) et le roman historique (14, 2012). Éric Chevillard moque le récit de voyage (Oreille rouge, 2005) et le conte (Le Vaillant Petit Tailleur, 2003), fait dysfonctionner l’écriture de soi (Du hérisson, 2002) et la biographie (Dino Egger, 2011). Jean-Benoît Puech invente un écrivain, Benjamin Jordane, dont il écrit lui-même les œuvres, la biographie et le commentaire critique. D’autres, parfois qualifiés de « minimalistes » (Jean-Philippe Toussaint, Christian Oster, Christian Gailly), produisent des narrations sans événements ou à partir d’événements infimes, à l’inverse des péripéties exacerbées du romanesque ancien, que certains auteurs, se réclamant d’une « nouvelle fiction » (Frédérick Tristan, François Coupry, Georges-Olivier Chateaureynaud, Hubert Haddad), tentent cependant de réactiver.
S’il arrive que la narration se fasse encore à la troisième personne, c’est avec la distance amusée de métalepses : Echenoz comme Christine Montalbetti (L’Origine de l’homme, 2002) interviennent inopinément dans le cours de leur récit pour en commenter la forme aussi bien que les événements inventés. Ils brisent ainsi la traditionnelle « suspension volontaire de l’incrédulité » (Samuel Taylor Coleridge) que suppose toute lecture de fiction, en exhibant les fils avec lesquels ils agitent leurs personnages-marionnettes.[...]
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Écrit par
- Dominique VIART : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France
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