LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

Une littérature relationnelle

Profondément renouvelée depuis la fin des années 1980, la littérature française contemporaine apparaît ainsi non seulement comme une littérature redevenue transitive, exigeante et volontiers critique envers elle-même – en témoignent les interventions métalittéraires qui émaillent ses œuvres –, mais également comme une littérature « relationnelle ». Ce terme, sans doute, permettra rétrospectivement de la nommer lorsqu’elle ne sera plus « contemporaine », et que d’autres formes, d’autres esthétiques lui auront succédé. Car, renouant avec les grandes questions qui ont agité la littérature des siècles passés – écrire les vies, le réel, l’histoire, le monde, la société –, elle est une littérature qui engage le dialogue avec l’héritage littéraire, instituant les œuvres anciennes en compagnes d’intellection des réalités présentes. Elle ne renonce pas cependant aux inventions modernes et avant-gardistes, auxquelles elle recourt comme à une boîte à outils techniques, pour les mettre au service des questions dont elle traite et non plus pour les faire fonctionner à vide dans un seul souci d’expérimentation. Elle relance le goût des voyages lointains, sans sacrifier aux anciennes formes des récits ou carnets de voyage (Éric Faye, Christian Garcin, Olivier Rolin, Patrick Deville), se fait poreuse aux métissages culturels, favorisant la « créolisation » qu’Édouard Glissant appelait de ses vœux et que poursuit Patrick Chamoiseau. De plus en plus riches et inventives, les littératures des pays et communautés francophones l’irriguent abondamment.

Elle perpétue aussi une forte proximité avec les arts plastiques, déjà engagée au xix^e siècle par les avant-gardes historiques : non seulement les écrivains s’en inspirent volontiers, écrivant des vies d’artistes, nourrissant leurs romans de cinéma (Tanguy Viel, Cinéma, 1999 ; Jean Echenoz, Les Grandes Blondes, 1995 ; Christine Montalbetti, Western, 2005) ou de séries, mais ils élargissent le spectre à l’architecture (Fanny Taillandier, Laurence Cossé), à l’urbanisme (Aurélien Bellanger), développent des formes mixtes, comme les romans graphiques (Frédéric Pajak, Manifeste incertain, 2012-2020), produisent, comme leurs aînés, des livres d’artistes, œuvrent à la fois en peinture et en poésie (Gérard Titus-Carmel), en roman et cinéma (Philippe Claudel, Christophe Honoré), produisent des œuvres indécidables qui mêlent textes et photographie (Sophie Calle), multiplient interventions, lectures et performances autour de leurs textes (Olivia Rosenthal).

La littérature, qui s’était, au cours des années 1960 et 1970, retranchée sur elle-même dans une sorte de solipsisme esthétique, alors même que les penseurs de la « French Theory » (Lacan, Derrida, Foucault) ne cessaient cependant de se pencher sur elle, dialogue de plus en plus avec les sciences humaines et sociales (Gérard Macé, Pascal Quignard avec l'ethnologie ; Pierre Michon, Jean Rouaud, Alain Nadaud avec l'anthropologie ; Mathieu Larnaudie avec l'économie ; Pierre Ducrozet avec les biotechnologies). Les écrivains sont de plus en plus nombreux à traiter d’environnement et d’écologie. À ces disciplines diverses, la littérature emprunte non seulement des objets et des concepts, mais des pratiques sinon des méthodes (loin d’être corsetés par des règles, les écrivains demeurent très indépendants et sauvages dans leurs approches). Elle constitue ainsi une sorte d’épistémologie particulière, ne serait-ce que dans les formes qu’elle invente et met en œuvre – récits de filiation, théâtres du quotidien, littératures de terrain – que les professionnels des sciences sociales adoptent à leur tour, qu’ils soient historiens (Patrick Boucheron, Stéphane Audoin-Rouzeau, Ivan Jablonka, Philippe Artières), ethnologues (Marc Augé), philosophes (Bruce Bégout) ou anthropologues (Éric Chauvier). La littérature reconquiert[...]

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Écrit par

Dominique VIART : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France

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Médias

Chute du Mur de Berlin - crédits : DPA/ picture alliance/ Getty Images — Chute du Mur de Berlin

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<em>L’Acte inconnu</em>, V. Novarina - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Bridgeman Images — *L’Acte inconnu*, V. Novarina

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Jean Echenoz - crédits : Jean-Noel De Soye/ Gamma-Rapho/ Getty Images — Jean Echenoz

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