LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
L’histoire littéraire d’un xxe siècle encore trop proche de nous est en cours de constitution : elle ne présente pas une trame aussi lisible que pour les siècles précédents. Même si la hiérarchie des œuvres s’est progressivement affermie, elle reste sujette à révisions, comme on le voit avec l’effacement relatif de la figure d’André Gide au profit de celle de Marcel Proust pour la première moitié du siècle. La place hégémonique du nouveau roman a reculé au profit de l’émergence de la figure de Georges Perec qui propose des relations inédites entre approche sociologique et autobiographique, formalisme et réalisme. L’œuvre de Marguerite Duras, longtemps restée à la marge, a gagné aussi en autonomie et en importance.
Dans la continuité du xixe siècle et dans l’euphorie des progrès de la Belle Époque, le siècle bascule avec la tragédie de la Première Guerre mondiale, qui marque la naissance d’un temps de violences, de destructions et d’exterminations que la Seconde Guerre mondiale aggrave encore, suivie à son tour par les guerres qui ont précédé la décolonisation. Le xxe siècle est aussi celui des révolutions et des avant-gardes, de 1917 en Russie à l’extension mondiale de la contestation en 1968, et celui de l’antagonisme politique sur lequel se construit au fil des décennies l’affrontement des deux blocs idéologiquement opposés entre communisme et démocratie libérale.
Il faut donc souligner à quel point le xxe siècle est un siècle de crises et de remises en question : de la place de l’humanisme, que l’essor des sciences humaines conteste à la littérature, en faisant de l’être humain l’objet distancié et rigoureux d’études scientifiques ; de l’arrachement aux conditions de vie traditionnelles, comme le montrent l’accélération de l’exode rural et l’urbanisation qui accentue la massification des conduites collectives. La révolution industrielle amorcée au siècle précédent s’accélère, avant de s’achever dans la désindustrialisation, la crise pétrolière et la révolution numérique qui ouvre la voie à l’économie mondialisée de notre temps.
Sans fixer de dates trop strictes, on envisagera, à la suite de l’historien Éric Hobsbawm, un « court xxe siècle », de l’entrée en guerre en 1914 aux années 1990. Un « âge des extrêmes » et d’une radicalisation des idées comme des formes artistiques, qui sous-tend une extraordinaire inventivité esthétique, selon une contestation inédite des modèles hérités.
Temps, sujet, mémoire
Si le xixe siècle a été celui de l’histoire et du progrès, le xxe siècle apparaît comme celui du temps. Dès les années 1890, Henri Bergson, qui reçoit en 1927 le prix Nobel de littérature, oppose la durée vécue au temps scientifique. Dans son sillage, et selon le privilège qu’il confère aux artistes pour donner à voir le monde dans toute sa richesse sensible, la dilatation vécue du temps est au cœur des préoccupations littéraires. Contre le déterminisme réaliste et naturaliste, le roman choisit l’instant et la trame discontinue d’une temporalité éprouvée subjectivement. Ce basculement explique la vogue du monologue intérieur qui entre dans la littérature française sous l’influence de l’écrivain irlandais James Joyce (1882-1941), relayé par Valery Larbaud (1881-1957), une technique que Jean-Paul Sartre (1905-1980) utilise aussi ponctuellement dans les nouvelles du Mur (1939) et qu’il met en exergue dans les leçons sur la littérature qu’il donne au Havre entre 1932 et 1933. Le discours du personnage se donne ici dans le flux d’une parole intérieure qui se dévide sans contrôle apparent. D’une manière plus générale, on peut dire que, si le roman réaliste du xixe siècle s’écrivait majoritairement à la troisième personne, celui du xxe siècle se dit à la première personne selon le primat donné à la perception[...]
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Écrit par
- Dominique RABATÉ : professeur de littérature française du XXe siècle
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