LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
Guerres et révolutions
Le « court xxe siècle » restera comme celui des deux guerres mondiales. Les premiers combats de la guerre de 1914-1918, saignée brutale pour la France, voient disparaître notamment Charles Péguy (1873-1914) et Alain-Fournier (1886-1914). De cette guerre interminable, la littérature s’empare en renouvelant les formes du récit pour en donner la transcription la plus exacte, touchant à la fois aux structures narratives et à la langue utilisée. Le Feu (1916) d’Henri Barbusse (1873-1935) comme Ceux de 14 (1949) de Maurice Genevoix (1890-1980) parviennent à communiquer la brutalité et le quotidien des poilus. L’œuvre de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) trouve, avec l’argot, le délire de la voix narrative et l’invention d’un style savamment oral et haché, la formule la plus forte pour dire le traumatisme durable d’une guerre où ont sombré tout l’idéal de l’avant-guerre et toutes les illusions sur la nature humaine. Avec Voyage au bout de la nuit, l’écrivain fait en 1932 une entrée fracassante dans le monde des lettres en portant à l’excès tous les codes du naturalisme. L’odyssée dégradée de Ferdinand Bardamu se lit bien comme la conséquence déréglée du chaos de la guerre, jeu de massacre sans signification qui livre l’individu moderne à la violence de la pulsion de mort.
Cette négativité radicale se manifeste – au sens strict du mot – avec la naissance de Dada en 1916 à Zurich, dans une Suisse à l’écart du conflit. Il faut hâter la ruine d’un monde en décomposition en accélérant le nihilisme dont il est porteur. Le long temps des avant-gardes accompagne celui des radicalisations politiques. Si le futurisme italien avait célébré la vitesse et la destruction du passé avant de se compromettre au côté du fascisme, c’est le surréalisme qui va constituer le mouvement le plus puissant et le plus international des années 1920-1930. Publiant en 1924 le Manifeste du surréalisme, d’abord conçu comme une préface au Poisson soluble, un recueil de textes régi par l’écriture automatique, André Breton (1896-1966) devient le chef de file et le maître à penser d’une insurrection esthétique que prolonge la revue La Révolution surréaliste (1924-1929). De Dada, le mouvement garde l’esprit de révolte, la destitution carnavalesque des hiérarchies artistiques au profit des écritures sauvages et hors du contrôle de la froide raison bourgeoise. Mais il convertit aussi le pessimisme nihiliste de l’après-guerre en appel au désir et à un changement de la vie. Unissant la poésie dans des formes inédites (textes écrits selon le principe de l’automatisme psychique, récits de rêve, enquêtes) à la peinture, c’est une libération de l’imaginaire que proclame le groupe. Il sera rapidement soumis aux tensions et dissidences, rattrapé aussi par l’obligation de choisir un camp politique. Mais un grand vent lyrique aura soufflé sur ce que les surréalistes appelaient par dérision la « littérature », dans Nadja (1928) et L’Amour fou (1937) d’André Breton, dans Capitale de la douleur (1926) de Paul Eluard (1895-1952) ou dans la prose fantasmagorique du Paysan de Paris (1926) de Louis Aragon (1897-1982). De plus, Breton produit une révision majeure de l’histoire littéraire en annexant au surréalisme les ancêtres qu’il lui donne : Nerval, Rimbaud changent alors de statut ; ce qu’Apollinaire (1880-1918) avait appelé « l’esprit nouveau » s’incarne dans un projet de bouleversement des codes esthétiques et moraux de grande ampleur. À la fin des années 1950, la revue Internationale situationniste reprendra en partie le programme du surréalisme en appelant à la subversion des formes de vie, à la dérision de l’art et à la critique radicale de la « société du spectacle » telle que la théorise Guy Debord (1931-1994) en 1967, un an avant les événements de Mai-68.
L’ébranlement[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Dominique RABATÉ : professeur de littérature française du XXe siècle
Classification
Médias
Autres références
-
ÉDUCATION / INSTRUCTION, notion d'
- Écrit par Daniel HAMELINE
- 1 299 mots
On pourrait penser, dans un premier temps, que les rapports entre « éduquer » et « instruire » sont simples à établir. Si l'on se réfère à la définition qu' Emmanuel Kant donne de l'éducation, à la fin du xviiie siècle, l'instruction apparaît, à côté « des soins, de...
-
ÉDUCATION - Philosophie de l'éducation
- Écrit par Daniel HAMELINE
- 2 343 mots
- 1 média
Dans le dernier quart du xxe siècle, la pensée de l'éducation prend position en fonction d'une triple référence : l'histoire ancienne et moderne des rapports entre éducation et philosophie dans la culture occidentale ; la remise en question théorique et pratique de l'humanisme...
-
ROMAN D'ÉDUCATION ou ROMAN D'APPRENTISSAGE
- Écrit par Claude BURGELIN
- 1 484 mots
L'ancienne épopée ou le roman de chevalerie racontaient par prédilection comment un héros prouvait à lui-même et au monde sa qualité de personnage héroïque ; c'étaient là les débuts du roman d'apprentissage ou d'éducation.
On a employé l'expression roman d'éducation...
-
SENSIBILITÉ, psychologie et philosophie
- Écrit par Michaël FOESSEL
- 1 033 mots
En raison du devenir et du changement qui le caractérisent, le sensible est traditionnellement opposé à la fixité et à la permanence de l'intelligible. Dans ces conditions, la sensibilité, comme propriété d'un sujet d'être modifié ou informé par le milieu sensible, peut être opposée...
-
SUBLIME
- Écrit par Philippe LACOUE-LABARTHE
- 6 156 mots
- 3 médias
« Sublime » transcrit le latin sublime, neutre substantivé de sublimis, qui lui-même traduit le grec to hupsos. La formation du mot latin s'explique mal, mais le sens est tout à fait clair : sublimis (de sublimare, élever) signifie : haut dans les airs, et par suite, au sens physique comme...
-
SENTIMENT
- Écrit par Olivier REBOUL
- 3 559 mots
« Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. » Ces mille choses sont ce que nous appelons nos sentiments. Et, comme l'exprime bien la phrase de Pascal, ceux-ci nous apparaissent à la fois comme irremplaçables et comme inexplicables. Irremplaçables, car le plus...
-
AUTOBIOGRAPHIE, notion d'
- Écrit par Alain BRUNN
- 1 440 mots
Auto-bio-graphie : écriture de sa propre vie, écriture par soi de sa vie. Le terme est double : au sens large, est autobiographique toute écriture intime ; au sens étroit, l'autobiographie, distincte des Mémoires, du journal intime ou de l'autoportrait, est un genre parmi d'autres de...
-
JOURNAL INTIME, notion de
- Écrit par Elsa MARPEAU
- 995 mots
Un journal intime est composé des notes qu'un narrateur prend quotidiennement (ou du moins régulièrement) sur lui-même, qu'il s'agisse de sa vie courante ou de sa vie intérieure. Il relève donc d'une écriture de l'intime.
Sans que l'on puisse parler de « journaux », Michel...
-
DANDYSME
- Écrit par Françoise COBLENCE
- 1 978 mots
- 5 médias
L'étymologie du terme « dandy » ouvre d'emblée un espace d'incertitude. L'Académie n'accueille qu'en 1878 ce néologisme venu d'Angleterre. Selon les Anglais, dandy pourrait dériver du français dandin (sot, niais), de dandiprat (nain, pièce de menue monnaie),...
-
ÉGOTISME
- Écrit par France CANH-GRUYER
- 320 mots
Retraduction datant des premières années du xixe siècle du mot anglais egotism par lequel Addison a traduit le mot français « égoïsme », mais qui n'a pas forcément le sens péjoratif que lui prête encore le Rivarol de 1827 d'« habitude blâmable de parler de soi ». Correspondant...
-
L'ÉTRANGE CAS DU DOCTEUR JEKYLL ET DE M. HYDE, Robert Louis Stevenson - Fiche de lecture
- Écrit par Marc PORÉE
- 902 mots
- 1 média
Souvent considéré comme le chef-d'œuvre de Robert Louis Stevenson (1850-1894), L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886) naît à la faveur d'un cauchemar inspiré par les « Brownies », ces mauvais génies de l'écrivain, alors qu'il séjourne, pour raisons de santé, dans le Midi...
-
AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA, Friedrich Nietzsche - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 1 270 mots
En août 1881, au bord du lac de Silvaplana, proche du village de Sils-Maria, dans l’actuel canton suisse des Grisons où il passait ses étés, Friedrich Nietzsche (1844-1900) eut une illumination : la « vision du Retour Éternel » (parfois dénommée « vision de Surléï »), qui le conduisit quelques...
-
À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU, Marcel Proust - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre-Louis REY
- 1 184 mots
- 2 médias
Histoire d'une vocation littéraire, À la recherche du temps perdu fut ébauché en 1908 par Marcel Proust (1871-1922), concurremment à un essai dirigé contre la méthode critique de Sainte-Beuve, coupable aux yeux de l'écrivain d'avoir jugé ses contemporains d'après leur comportement en société,...
-
À REBOURS, Joris-Karl Huysmans - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
- 879 mots
Publié en 1884, À rebours est rapidement devenu un livre culte pour les générations de la décadence et du symbolisme. Pourtant, jusqu'alors, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) appartient à la mouvance naturaliste. Il a collaboré aux Soirées de Médan (1880) et fait partie du petit groupe...
- Afficher les 56 références