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LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

Noirceurs du roman

Le pessimisme n’est pas l’apanage du xxe siècle qui poursuit le désabusement du siècle précédent en lui donnant une accentuation encore plus sombre, du côté d’une sorte de fascination pour le crime et le mal. L’influence de Dostoïevski sondant les abîmes de la conscience se sent dans l’orchestration du Sang noir (1935) de Louis Guilloux (1899-1980), roman dont l’intrigue se passe de manière significative en 1917 après trois années de guerre. La même année, Georges Bernanos (1888-1948) publie Un crime (1935), témoignant de l’influence grandissante du roman policier. L’écrivain catholique achève son œuvre par un étonnant roman de la négativité en inventant l’étrange figure de Monsieur Ouine (1943), nom où se lit la contraction scandaleuse d’un oui et d’un non. Et c’est autour d’un crime raté que François Mauriac (1885-1970) construit son personnage emblématique de Thérèse Desqueyroux (1927). On pourrait dire qu’une relecture des Pensées de Pascal, sans sa dimension apologétique, semble nourrir les écrivains de la moitié du siècle, comme on le voit avec le titre même d’Un roi sans divertissement (1947) de Jean Giono (1895-1970) qui confronte son personnage principal, Langlois, à l’énigme de crimes gratuits et se termine par un suicide grandiose.

Seul genre véritablement moderne, le roman policier se fonde sur le principe que n’importe qui peut être coupable. Il va gagner au fil du siècle ses lettres de noblesse, en même temps qu’un lectorat nouveau. La figure du détective remplace celle du justicier des romans populaires : c’est le jeune Rouletabille de Gaston Leroux qui élucide le troublant Mystère de la chambre jaune (1907). C’est la lutte interminable de l’inspecteur Juve contre le fascinant et insaisissable Fantômas, créé par Pierre Souvestre et Marcel Allain en 1910, figure qui entre bientôt au panthéon surréaliste et donne lieu à de nombreuses adaptations cinématographiques.

Georges Simenon - crédits : Keystone Features/ Getty Images

Georges Simenon

L’œuvre pléthorique de Georges Simenon (1903-1989) incarne ce goût nouveau et lui donne avec le commissaire Maigret, enquêteur peu conventionnel qui se laisse imprégner de l’atmosphère des lieux du crime qu’il doit résoudre, une des figures les plus populaires au cinéma et à la télévision. Simenon capte le quotidien du mal, construisant ses intrigues dans des ambiances provinciales assoupies où le mystère des êtres se replie. À côté des romans policiers, l’écrivain belge produit aussi ce qu’il appelle des « romans durs » qui décrivent toujours le moment où bifurquent des existences ordinaires entraînées vers une déviation ou une déviance du cours ordinaire des choses.

Auteurs eux aussi prolifiques, Pierre Boileau (1906-1989) et Thomas Narcejac (1908-1998) constatent l’épuisement du genre du roman de détection classique. Se répartissant les rôles du scénariste et de l’écrivain, ils engagent le roman policier vers des intrigues psychologiques de dédoublement et de perturbation discrète de l’ordre bourgeois, notamment avec Celle qui n’était plus (1952), adapté au cinéma par H. G. Clouzot sous le titre des Diaboliques. Ils publient au moment où, à travers la collection Série noire, s’affirme le succès en France des romans noirs américains, qui renouvellent de fond en comble le personnel d’un genre dont Jean-Patrick Manchette (1942-1995) opère dans les années 1970 la synthèse sous le terme qu’il veut péjoratif de « néopolar ». De Nada (1973), récit absurde d’une prise d’otage politique vouée à l’échec, à La Position du tireur couché (1982), Manchette « dégraisse » le récit noir, lançant ses héros et ses héroïnes solitaires dans un monde chaotique dont ils ne peuvent plus ordonner le cours ni rédimer la noirceur.

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Marcel Proust, J.-É. Blanche - crédits : Charles Ciccione/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Marcel Proust, J.-É. Blanche

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