LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
Crise de la représentation, contestations de la littérature
L’ébranlement des deux guerres mondiales et la crise de l’idée d’humanisme trouvent dans tous les genres de la littérature du xxe siècle un terrain favorable pour mettre en question, comme dans la peinture, les conditions mêmes de la représentation. En poésie, c’est l’élargissement spatial de la page qui marque la modernité des Calligrammes (1918) d’Apollinaire. Commence une longue collaboration entre peintres et poètes, notamment celle de Pierre Reverdy (188-1960) avec Picasso pour Le Chant des morts (1948). Mais c’est la définition même de la poésie qui vacille chez les dissidents du surréalisme. Henri Michaux (1899-1984) explore « l’espace du dedans » dans son œuvre éponyme (1944) et fait de ses livres un terrain d’expérimentation des possibilités multiples du moi, sous la figure allégorique de Plume ou dans la fantasmagorie de ses animaux et de ses peuples imaginaires. La même violence dicte à Antonin Artaud (1896-1948) son entreprise « glossolalique » de désarticulation de la langue. La grande vague lyrique, qui avait aussi poussé les œuvres en forme de verset de Paul Claudel (1868-1955) et Saint-John Perse (1887-1975), laisse place après la Seconde Guerre mondiale à un lyrisme en demi-teinte, à une parole entravée, notamment chez Philippe Jaccottet (1925-2021) ou Eugène Guillevic (1907-1997), face à « la réalité rugueuse à étreindre » selon la belle formule de Rimbaud dans « Adieu ». La parole raréfie son souffle en privilégiant des formes d’espacement et de discontinuité de la syntaxe chez André du Bouchet (1924-2001) ou Jacques Dupin (1927-2012). Francis Ponge (1899-1988) se moque souvent du titre de poète qu’il révoque, préférant célébrer le monde des objets ordinaires dans Le Parti pris des choses (1942), ou mettre en scène l’atelier d’écriture de ses poèmes qui tâtonnent d’essais en brouillons vers la diction d’un rapport heureux avec le monde. Plus loin dans le siècle, c’est Denis Roche (1937-2015) qui déclare la « poésie inadmissible » et toute une « modernité négative », selon l’expression de La Bibliothèque de Trieste (1988), qu’incarne son auteur, Emmanuel Hocquard (1940-2019), pour qui l’écriture doit viser à une grammaire littérale des énoncés, contre toute emphase subjective.
C’est peut-être au théâtre que la contestation des formes traditionnelles et des modes de représentation s’illustre le plus clairement. Paul Claudel fait éclater le cadre temporel, géographique et mystique de la pièce avec les quatre journées du Soulier de satin (1929). Antonin Artaud avance dans Le Théâtre et son double (1938) une théorie violemment antiréaliste de la mise en scène, inspirée des traditions extrême-orientales, et tendant vers un improbable théâtre sacrificiel et corporel de la cruauté. Le public continue d’aller voir des pièces conventionnelles, que le théâtre écrit et le théâtre d’idées ou de débats existentiels dominent jusqu’aux années 1940 avec les pièces poétiques de Jean Giraudoux (1882-1944) ou les mythes antiques revisités par André Gide (1869-1951), Jean Cocteau (1889-1963), Jean-Paul Sartre ou Jean Anouilh (1910-1987). Cependant, les coups de boutoir de ce qu’on a appelé, improprement, « l’antithéâtre » ou « le théâtre de l’absurde » surviennent au tournant des années 1940-1950 : en sourdine chez Jean Genet (1910-1986) qui radicalise par la suite dans des préfaces introductives à ses pièces, Les Bonnes (1947) ou Le Balcon (1956), ses thèses hostiles au théâtre à l’italienne, et son idée d’une sublimation spectaculaire du néant et de la mort ; plus directement comme une attaque contre toute structure dramatique et le langage des dialogues ici vidés de leur sens, chez Eugène Ionesco (1909-1994), qui pastiche la méthode Assimil dans La Cantatrice[...]
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Écrit par
- Dominique RABATÉ : professeur de littérature française du XXe siècle
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