FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.
L’essor du lyrisme poétique
La poésie connaît au xixe siècle une paradoxale mutation. Dominante dans les belles-lettres au début du siècle, elle voit son champ se réduire à la poésie lyrique et délaisser les registres narratifs et épiques. Seul genre à perpétuer la domination du vers, elle connaît une invasion de la prose. Incapable de nourrir ceux qui lui vouent une dévotion, la poésie n’en reste pas moins considérée comme la quintessence de la littérature. De fait, le siècle offre à la poésie contemporaine toutes ses figures tutélaires de Hugo à Mallarmé en passant par Baudelaire, Verlaine et Rimbaud.
Au tournant des xviiie et xixe siècle, la poésie, enserrée dans toute une série de règles formalistes, préfère la périphrase pompeuse et le recours à la rhétorique à une écriture naturelle. Seules quelques figures comme André Chénier peuvent préfigurer la sensibilité de l’époque romantique. La révolution des romantiques ne consiste pas dans un premier temps à renoncer au vers ou à révolutionner la forme mais à mettre en avant l’individualité et l’intériorité du poète et à être attentif à sa sensibilité et à ses émotions. Dans la première préface des Méditations, Lamartine déclare : « Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse, et qui ai donné à ce qu’on nommait la muse, au lieu d’une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur de l’homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l’âme et de la nature. » Lamartine est à l’origine de la régénérescence religieuse et morale qui fonde le romantisme français. Mais la désillusion de 1830 crée deux voies. D’un côté, plusieurs poètes, de la génération de Hugo, convertis au romantisme humanitaire, se voient en prophètes et mages pour la nation dans la nébuleuse des utopies socialistes qui fleurissent alors. Dans le poème « Réponse à un acte d’accusation », Victor Hugo assimile la révolution romantique à un acte politique et démocratique. Cette génération-là reste cependant sensible à la poésie épique ou à la poésie dramatique comme en témoigne la synthèse poétique réalisée par La Légende des siècles. De l’autre côté, pour la seconde génération romantique, le désenchantement historique, religieux, politique entraîne une profonde désillusion, qui sera encore ravivée en 1848. Les poètes lient leur destin contre la rhétorique, faisant le pari de l’invention d’une poétique « absolue » qui se paie par la perte du public. La poésie vit une sorte de fantasme d’exil en reniant, d’une part, le romantisme humanitaire comme une illusion, et, d’autre part, en déniant à la poésie toute signification politique.
Avec le Parnasse, la poésie en quête d’autonomie passe par une réaction antisentimentale, en fait un manifeste de rupture avec le romantisme, avant deux crises plus décisives, la crise de vers et la crise du sujet. Baudelaire, le premier, pose avec Le Spleen de Paris l’ambition d’une prose poétique musicale mais adaptée à la description de la vie moderne. La crise des formes se traduit entre vers et prose par un brouillage des genres conduisant à la production d’œuvres hors normes, en marge du Parnasse Les Chants de Maldoror (1869) de Lautréamont ; Une saison en enfer (1873), et les Illuminations (1886) de Rimbaud. La poésie symboliste associe une réaction idéaliste contre le positivisme naturaliste à la revendication du vers libre (Gustave Kahn, Jules Laforgue, Marie Krysinska). À l’antagonisme entre le vers et la prose se substitue une opposition plus fondamentale entre « l’universel reportage » selon la formule de Mallarmé et une poétique qui délivre les mots de leur usage quotidien pour en interroger le mystère ou pour en retrouver le sens originel. La crise que révèle le symbolisme est donc à la fois une crise de la représentation mais aussi une crise[...]
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Écrit par
- Marie-Ève THÉRENTY : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France
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