FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.
Le roman de la démocratie
Albert Thibaudet a écrit que le roman était « le genre triomphateur du xixe siècle ». Peu légitime à l’orée du siècle parce qu’il touchait principalement un public de lectrices séduites par le rocambolesque et le sentimental, il connaît plus de succès qu’aucun autre genre auprès du public qui se constitue durant le siècle. En 1858, pour la première fois, un romancier, Jules Sandeau, entre à l’Académie française. L’ensemble du siècle dessine le triomphe du roman dit réaliste, capable d’immerger les événements de la vie quotidienne dans l’histoire contemporaine. Il vient par-là constituer le présent et le familier en objets littéraires. Mais cette évolution qui trouve son acmé dans le roman naturaliste et qui engendre d’ailleurs régulièrement des mouvements réactifs se fait progressivement.
Coexistent dans le premier tiers du xixe siècle des romans très divers, mais qui tous laissent une large place à la crise de l’individu en régime postrévolutionnaire. D’abord perdure la vogue de certains genres romanesques. Le roman de mœurs populaire continue à connaître un énorme succès, qu’il raconte des aventures sur un mode comique (François Ducray-Duminil) ou sur un mode sérieux et moral (Pigault-Lebrun). Cette veine sera dans la suite du siècle prolongée par la popularité d’un Paul de Kock, d’un Auguste Ricard ou d’un Victor Ducange.
On voit apparaître de nouvelles tendances liées à la difficulté pour l’individu postrévolutionnaire à s’inscrire dans un monde désenchanté : le roman ou le récit long fait une large place aux effusions d’un moi souffrant qui confond les souffrances du personnage avec celles de son créateur. Le roman personnel évoque volontiers les méandres de la sensibilité et de l’intimité. Ce genre, qui se développe avec René (1802) de Chateaubriand et Oberman (1804) de Senancour, est appelé à avoir une longue postérité avec Armance (1827) de Stendhal, Volupté (1834) de Sainte-Beuve, Dominique (1862) d’Eugène Fromentin et à connaître même ses avatars quasi parodiques dans la seconde moitié du siècle avec L’Éducation sentimentale (1869) de Flaubert et À rebours (1884) de Huysmans. Le roman dit réaliste hérite de cette forme, comme il tire aussi enseignement du roman historique. Le parti pris par Walter Scott de s’investir dans la description des mœurs est médité par les romanciers français qui décident de joindre la problématique du roman historique au temps présent. Le premier à avoir étroitement lié roman et histoire contemporaine est Stendhal, qui donne en sous-titre à son roman Le Rouge et le Noir : chronique de 1830.
À partir de la décennie 1840, le roman, qu’il soit historique ou contemporain, est systématiquement publié dans la partie feuilleton d’un journal avant d’être repris en librairie. Ce type de publication a plusieurs effets. D’abord même si le journal est encore à cette époque un produit cher, il favorise une nette démocratisation de son lectorat. Surtout la contiguïté entre la matière informationnelle, référentielle et la fiction explique une nette contagion de l’une par l’autre. La fiction s’ouvre de plus en plus au contexte contemporain, qu’il soit politique ou social comme en témoigne l’évolution de George Sand (1804-1876) dans les années 1840, avec Le Compagnon du tour de France. L’adaptation de la fiction aux spécificités de son support et à la lecture forcément découpée en séquences qu’il suscite explique le succès des auteurs (Eugène Sue, Alexandre Dumas, Paul Féval) qui privilégient des romans immersifs et addictifs aux péripéties abondantes et aux ressorts émotionnels. Beaucoup fustigent la poétique typique du roman-feuilleton fondée sur les stéréotypes, le manichéisme, les rebondissements attendus et le suspense, poétique qui va s’accentuer sous le second Empire avec une deuxième[...]
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Écrit par
- Marie-Ève THÉRENTY : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France
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Médias
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