FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.
Maniérisme et baroque
Le baroque s’inscrit sous le signe de Circé, pour le goût des métamorphoses, la peinture d’un univers en mouvement, instable jusqu’au vertige, et sous le signe du paon, pour la recherche de l’ostentation. La parole baroque, magistrale, cherche à convaincre et se donne comme discours de vérité, alors que la parole maniériste veut seulement séduire, troubler, semer le doute. Le maniérisme est représenté par Philippe Desportes, auteur des Amours de Diane et des Amours d’Hippolyte – accusé par Malherbe d’« italianiser » –, et traducteur ou plutôt adaptateur des Psaumes, librement paraphrasés et versifiés.
Un baroque « parti pris des choses », c’est ce que proclame en 1578 La Sepmaine de Guillaume de Salluste du Bartas (1544-1590), vaste poème de la Création du monde en sept chants ou plutôt en sept « jours », où le texte des premiers chapitres de la Genèse s’enrichit de toute la science cosmologique héritée de Pline l’Ancien. Ce poème est suivi de la Seconde Semaine, inachevée, qui commence par la Chute et aurait dû se clore par le Jugement dernier. Au déclin de la Renaissance, du Bartas est l’un des rares poètes français à bénéficier d’une renommée internationale. Traduit en anglais, en allemand, en italien, en latin, il est appris par cœur et commenté dans toute l’Europe.
Le plus révélateur des poètes baroques est Agrippa d’Aubigné (1552-1630). Le Printemps et L’Hiver sont les deux saisons contrastées d’une œuvre. Le Printemps contient l’« Hécatombe à Diane », déferlante de cent sonnets adressés à Diane Salviati, pour laquelle le jeune d’Aubigné soupire, suivie d’« Odes » et de « Stances » langoureuses, dont la composition s’étend sur toute une vie. Le tout ne sera publié que trois siècles plus tard. Quant à L’Hiver, il paraît l’année de la mort du poète et contient des poésies religieuses, des paraphrases des psaumes, ainsi que l’« Hercule chrétien », thème qu’avait déjà illustré Ronsard.
L’acronyme L.B.D.D., qui signe l’édition de 1616 des Tragiques, correspond au surnom que son caractère rétif avait valu à d’Aubigné : « le bouc du désert ». Composés de 1577 à 1616, LesTragiques comprennent sept chants, qui conduisent de « Misères » à « Jugement ». « Misères », qui se souvient des Discours de Ronsard, est placé sous l’invocation de Melpomène, muse de la tragédie. « Jugement » annonce le Jugement dernier. Dans le livre central, le livre IV, « Les Feux », le supplice des martyrs brûlés vifs renouvelle le spectacle des anciens jeux du cirque. Le livre V, « Les Fers », est une histoire abrégée des massacres des neuf guerres de religion, vues du côté protestant. Le poète suit ici un ordre géographique plutôt que chronologique, à savoir le cours des fleuves de France – Seine, Loire, Garonne et Rhône –, qu’il descend ou remonte, de sorte que l’hydrographie sous-jacente à ce théâtre des cruautés aboutit à une mer de sang. Les Tragiques ont paru, après Malherbe, comme une contre-offensive baroque à une première revendication classique. Reçus de peu, imités par de très rares, ils ne seront découverts qu’au xixe siècle, appréciés du romantisme et plus encore au temps de l’affaire Dreyfus, lorsqu’ils constitueront, non sans anachronisme, une arme de combat.
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Écrit par
- Frank LESTRINGANT : professeur de littérature française, Sorbonne université
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