FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.
Les Essais de Montaigne
De noblesse toute récente par son père et de mère juive convertie, Michel de Montaigne (1533-1592) possède une solide culture humaniste doublée d’une formation en droit. Les Essais, dont la première édition date de 1580, ont une dette envers la culture juridique du temps, et leur écriture s’apparente à la glose, qui complète, corrige ou infirme sans cesse les commentaires antérieurs. D’où l’intuition de la fragilité du jugement humain, que démontre le cas exemplaire des procès en sorcellerie tel qu’il est examiné, et incriminé, dans le chapitre « Des boiteux » – boiteux comme le diable précisément (Essais, III, 11). Ce constat de fragilité, Montaigne le transporte du domaine du droit à celui de la connaissance en général. Partout, la vérité des choses nous échappe, ou, comme le dit l’« Apologie de Raimond Sebond » en une formule lapidaire, « nous n’avons aucune communication à l’être » (II, 12). Montaigne voit dans la prolifération des commentaires un symptôme du dérèglement de son temps (III, 13). D’où la supériorité des Anciens sur les Modernes, lesquels sont capables au mieux de greffer leurs gloses sur les écrits des premiers, non de leur substituer des œuvres comparables en vérité et en force. Du commentaire, le texte des Essais retient le cours brisé, rebondissant d’allégation en allégation, enchevêtrant les références et multipliant les digressions. Au passage, un chapitre évoque les « Cannibales » ou Indiens du Brésil (I, 31). Un autre, intitulé « Des coches », c’est-à-dire des voitures (III, 6), traite de la conquête de l’Amérique, où les voitures justement n’existaient pas, et de sa destruction brutale. Le tout, sans véritable conclusion, s’achève de manière hédoniste, par le chapitre « De l’expérience » (III, 13), conclu par quelques vers d’Horace. Composés à l’origine de deux livres, les Essais sont sans cesse augmentés d’« allongeails », et d’un troisième livre, en 1588. Sur l’exemplaire de Bordeaux, l’ensemble est complété de centaines de gloses manuscrites, qui seront intégrées aux éditions posthumes. Très vite, les Essais sont traduits en anglais par John Florio, aussitôt lus et cités par Shakespeare, en particulier dans La Tempête. En Angleterre, le mot « essai » devient un nom commun, lequel revient en France au temps des Lumières, par le détour des Philosophes.
De septembre 1580 à novembre 1581, en marge d’un voyage en Italie, pour prendre les eaux mais aussi pour conduire une mission diplomatique, Montaigne a tenu un Journal qui le conduit jusqu’à Rome, dont il admire la grandeur passée et les ruines actuelles.
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Écrit par
- Frank LESTRINGANT : professeur de littérature française, Sorbonne université
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