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FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.

Les moralistes

Cette dimension morale que présentent aussi le théâtre de Racine ou la poésie de La Fontaine accorde au xviie siècle français une place éminente dans la longue histoire de la connaissance de soi, qui avait pris son essor lointain dans la Grèce antique. Un grand héritier de Socrate, Montaigne, veille d’ailleurs aux portes du siècle où la question du moi, haïssable pour Pascal, délectable pour Saint-Évremond, amendable ou incorrigible, va constituer un sujet récurrent d’interrogation pour la poésie lyrique qui dit « je » et la poésie morale qui dit « nous », pour le roman dévoué à l’analyse de l’amour, pour la comédie et la tragédie confrontées aux actions et aux passions humaines les plus extrêmes, et surtout pour ces œuvres d’un genre indécis dont on regroupa après coup les auteurs sous l’étiquette de « moralistes ».

<it><em>Vanité</em></it><em> ou </em><it><em>Allégorie de la vie humaine</em></it>, P. de Champaigne - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Vanité ou Allégorie de la vie humaine, P. de Champaigne

Le plus généralement, ceux-ci sont les adeptes de la forme brève, dont la maxime est le modèle. À côté de la poésie gnomique de Pibrac ou Pierre Matthieu, à côté des auteurs de recueils mondains et de pensées diverses, voire amusantes (Mme de Sablé, l’abbé d’Ailly, Domat, Dufresny), en marge des recueils de bons mots, d’anecdotes et de propos recueillis qu’on nomme tantôt historiettes (Tallemant des Réaux) tantôt ana (comme le Bolaeana, recueil des dits de Boileau), l’écriture moraliste de forme brève est illustrée, au xviie siècle par les trois massifs que forment : les Maximes de La Rochefoucauld, centrées sur une anthropologie de l’amour-propre, c’est-à-dire l’amour de soi-même, auquel sont rapportées toutes les pensées et les conduites humaines ; les Pensées de Pascal, scindées en maximes, réflexions et méditations brèves par la mort prématurée de l’auteur qui voulait en tirer une Apologie de la religion chrétienne, à partir d’une anthropologie de la misère de l’homme ignorant de soi-même et de Dieu ; et Les Caractères de La Bruyère, comédie du moi dans le monde et face au monde, perpétuellement enrichie de traits observés et moqués au fil des neuf éditions du texte (1688-1696).

Ces trois entreprises portées par une intention prescriptive, mais réorientées en description de la comédie humaine, esquissent, avant l’âge de la psychologie et de la sociologie, un portrait de l’espèce humaine prise entre la singularité du moi, la collectivité du nous et le dialogue avec Dieu. Ces trois visées déterminent un portrait à trois faces de l’homo classicus, comme celui de Richelieu par Philippe de Champaigne, qui est aussi un portrait du siècle : le siècle du cogito cartésien, fondé sur l’autonomie du sujet individuel ; le siècle de l’honnête homme, modèle social de perfection naturalisée par l’usage raisonné d’une sociabilité polie et élégante ; et, sinon le « siècle des saints », depuis François de Sales jusqu’à sainte Marguerite-Marie, du moins un siècle « qui veut croire » (L. Febvre) et se montre obsédé par la question du salut, de la faute et de la grâce, au point qu’on a pu le baptiser aussi et plus légitimement le « siècle de saint Augustin » (P. Sellier). Car des Pères de l’Église préoccupés par ces questions, Augustin fut sans doute le plus sollicité et son interprétation la plus ardemment discutée par les théologiens du xviie siècle.

En proposant dès 1606 une mise en forme rationalisée, moralisée et christianisée des Essais de Montaigne intitulée De la sagesse, Charron avait centré leur leçon sur le « connais-toi toi-même » socratique en réduisant la religion à « la connaissance de Dieu et de soi-même ». Ce prêtre trop hardi dans sa quête d’un compromis entre christianisme et sagesse antique, entre foi et raison, ouvrait ainsi la voie à ce mouvement de pensée qu’on a depuis nommé le « libertinage érudit » (R. Pintard) et qui réunit à des sceptiques[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à la faculté des lettres de Sorbonne université

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Tartuffe de Molière, mise en scène de Galin Stoev

<it><em>Vanité</em></it><em> ou </em><it><em>Allégorie de la vie humaine</em></it>, P. de Champaigne - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Vanité ou Allégorie de la vie humaine, P. de Champaigne

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