FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.
Naissance de la « vie littéraire »
Mais sans qu’il soit besoin d’y ajouter ce flot de pages, l’ampleur de la production littéraire du xviie siècle est déjà frappante. À quoi la doit-on ? Sans doute à la rencontre qui eut lieu alors entre les composantes nécessaires à constituer une vie littéraire au sens plein de l’expression. Soit, d’abord, une langue sûre de sa syntaxe, de sa grammaire et de son usage validés par un tribunal académique, pour permettre l’expression de la singularité au sein de la conformité : le mot « style » désignait exclusivement au début du siècle une catégorie normée de l’écriture ; à la fin, il désignera aussi la singularité d’expression propre à chaque écrivain.
Ensuite, la vie littéraire requiert une poétique et une générique conscientes d’elles-mêmes, attentives à leurs fondements, à leur histoire, à l’exploitation qu’en font les écrivains et à l’évaluation qu’on peut faire de leur travail : le xviie siècle marque la naissance de la critique littéraire et de l’histoire littéraire, indispensables miroirs de la création. À quoi doit s’ajouter un public à même de juger, d’apprécier, de se passionner : ce public commence alors d’exister ; il forme son goût à la cour, dans les coteries et les salons, dans les salles de spectacle et au sermon, dans la conversation, qui devient un art, et dans la correspondance, qui est une conversation étirée par l’absence. La presse fait son apparition, et même les gazettes « littéraires », comme Le Mercure galant.
Enfin, pour qu’il y ait vie littéraire, il faut bien sûr des écrivains conscients de l’être : sans que le mot (on l’orthographie encore « escrivain ») ait supplanté ceux de « poète » et d’« auteur », la conscience qu’il s’agit d’une fonction sinon déjà d’une profession fait alors son chemin, en même temps que la possibilité d’en vivre, au théâtre en tout cas, et le sentiment partagé que l’écriture permet d’exercer par le biais de la parole publiée un pouvoir social, politique et moral qui honore l’État, le roi et l’époque. Le xviie siècle est justement l’époque où se substitue au mécénat privé celui de l’État, non seulement par le maillage académique commencé sous Richelieu et poursuivi sous Louis XIV, mais aussi grâce à une politique concertée d’attraction des talents et à l’assurance de leur fidélité par gratifications et charges. Colbert met en œuvre cette politique, sous l’œil du monarque attentif à la gloire que doit conférer à son règne une vie littéraire et artistique brillante, encouragée et bien régie.
Dans le domaine du spectacle vivant, le privilège obtenu en 1672 par Lully pour la création d’un opéra national et la fondation de la Comédie-Française en 1680 par fusion de l’hôtel de Bourgogne et de l’ancienne troupe de Molière récemment disparu sont également des illustrations encore bien vivantes de cette politique culturelle dont les principes furent l’incitation, la réglementation et la concentration monopolistique. « Un Auguste aisément peut faire des Virgile » écrivait alors Boileau, cautionnant comme à l’accoutumée par une image tirée du passé une des initiatives culturelles les plus déterminantes du présent : c’est en mettant leurs pas dans ceux des Anciens que les nouveaux Virgile devaient faire de la France une Rome moderne.
Ainsi, au xviie siècle, la vie littéraire, comme la littérature, innove en se ressourçant, invente en se remémorant, rompt en feignant de se relier – et inversement. Peut-être ce qu’on a nommé le classicisme français n’est-il que l’effet illusoire de stabilité produit par cet équilibre instable entre des tensions exacerbées.
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Écrit par
- Patrick DANDREY : professeur émérite à la faculté des lettres de Sorbonne université
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