FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.
Entre classicisme et romantisme, la littérature du xviiie siècle occupe une place très singulière. Elle a souvent été présentée comme une littérature d’idées plutôt que de poésie et lue rétrospectivement à partir de la Révolution qu’elle aurait « annoncée ». Par la suite, la IIIe République lui a réservé une place fondatrice dans l’enseignement français, à l’égal du classicisme. Mais on lit désormais autant les fictions romanesques et les grands auteurs de théâtre que ceux qu’on a désignés comme « les philosophes du xviiie siècle ». Autant que la philosophie, du reste, la littérature se révèle porteuse d’une intelligence critique du monde : c’est dans tous les genres de textes qui définissent l’espace public que le vaste mouvement des Lumières vient s’incarner.
Un paysage littéraire en mouvement
Les délimitations multiples de ce que nous nommons « littérature » sont l’œuvre de la critique du xixe siècle et de l’institution scolaire. Ce terme désignait au xviiie siècle des écrits d’érudition critique, jusqu’à ce que Louis Sébastien Mercier (De la littérature et des littérateurs) et Germaine de Staël (De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions) lui donnent une acception qui se rapproche de ce que nous entendons aujourd’hui. Nous devons donc tenir compte de ce que l’on désignait alors sous le nom de « belles-lettres », de poésie, de rhétorique. On ne saurait aujourd’hui réserver Du Contrat social ou la plus grande partie de L’Esprit des lois à une lecture philosophique, ou écarter une épopée comme La Henriade d’une poésie que les romantiques ont longtemps enfermée dans sa seule dimension lyrique mais que la seconde moitié du xxe siècle a redéfinie dans toute son extension.
En outre, ce paysage littéraire est ordonné par une hiérarchie rigoureuse des genres, dont nous sommes aujourd’hui très éloignés et qui programme la réception des œuvres. C’est elle qui détermine par là même la carrière des écrivains. Ainsi, l’épopée et la tragédie sont les genres les plus prisés, tandis que le roman et la farce sont considérés avec mépris par les doctes. La composition d’une tragédie ouvre souvent l’accès à l’Académie française. Les vers sont considérés comme supérieurs à la prose. Des règles strictes défendues par des élites, persuadées que les formules poétiques fixées au xviie siècle auraient seules permis à la poésie française d’atteindre une perfection inégalable, font obstacle à l’innovation dans l’écriture des genres nobles. Bien plus libres, les genres « bas », la comédie, le drame et surtout le roman connaissent un développement considérable, à telle enseigne qu’on pourrait dire que le xviiie siècle coïncide avec un premier âge d’or du roman.
Si le xviiie siècle ne nous semble pas être le grand siècle de la poésie, il nous faut cependant tempérer ce jugement. La poésie lyrique n’en est pas absente : des poètes comme Antoine de Bertin, Nicolas Germain Léonard ou André Chénier l’ont incarnée. Mais les poètes ont aussi illustré le style érotique inspiré d’Ovide, ou d’autres genres poétiques comme la poésie descriptive (Jacques Delille, Jean-François Ducis), didactique ou philosophique (Claude-Joseph Dorat, Antoine Marin Lemierre, Voltaire). Les grands poèmes philosophiques de Voltaire, du Mondain au Poème sur le désastre de Lisbonne,manifestent la vitalité de la poésie. Du même Voltaire, une épopée comme La Henriade, qui évoque le roi Henri IV et les guerres de religion, mérite d’être tirée de l’oubli. Moins normés encore, l’essai et le dialogue d’idées vont offrir aux débats des Lumières un champ d’expression passionnant. Le nombre des journaux et des revues augmente considérablement dans la seconde moitié du siècle, rendant bientôt possible le développement de[...]
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Écrit par
- Pierre FRANTZ : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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