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FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.

Littérature et société : la formation d’un espace public

La Liseuse, J. H. Fragonard - crédits : courtesy National Galery of Art, Washington

La Liseuse, J. H. Fragonard

L’évolution de la littérature est, plus qu’à aucune autre époque précédente, étroitement liée à celle de la société et des pratiques sociales. La production de livres augmente considérablement à partir de 1720 et plus encore après 1760. La publication de livres qui appartiennent au domaine des sciences et des arts est encore plus significative, d’autant qu’elle s’effectue au détriment des livres religieux. Les pièces de théâtre et les romans forment environ 40 p. 100 de ce nombre. Périodiques divers et journaux se multiplient pendant les trois dernières décennies du xviiie siècle, contribuant à la naissance de l’espace public. Sans doute le régime de publication est-il encadré par le système du privilège (autorisation d’imprimer) et de la permission tacite. Mais si la diffusion des livres se fait par l’intermédiaire de libraires, parfois « éditeurs », ayant pignon sur rue, elle se fait aussi par des réseaux capillaires, difficiles à contrôler par la police. Des revendeurs, des colporteurs diffusent des livres – un rôle essentiel dans la pénétration des textes interdits, libertins, philosophiques parfois, pornographiques souvent. Le développement des Lumières, qu’elles soient ou non « radicales », selon l’expression de Jonathan Israel, ne se comprend pas sans ce facteur. Les textes circulent aussi à l’état de manuscrits, parfois de simples feuilles volantes, qui se prêtent à une pensée incisive et pamphlétaire, parfois athée : ce fut le cas du Testament du curé Jean Meslier par exemple. Le régime du privilège s’accompagne d’une censure vigilante, mais de moins en moins efficace au fil du siècle, et contournée par des stratégies diverses (Voltaire recourt ainsi à cent cinquante-sept pseudonymes différents !). Condamné par les autorités religieuses, le roman subit leurs foudres : six romans seulement paraissent en France en 1738 ; pas un n’est imprimé en 1747 et 1748, époque où aucun privilège n’est accordé aux romans, mais beaucoup sont imprimés en Hollande ou en Angleterre. De grandes entreprises de librairie voient le jour : l’Encyclopédie, plus tard, l’Encyclopédie méthodique, de grandes collections comme les trente-neuf volumes des Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques édités par Charles-Georges-Thomas Garnier peu avant la Révolution, de grands projets comme l’édition de Kehl des Œuvres complètes de Voltaire. Les sociétés et cabinets de lecture se multiplient, la pratique du théâtre amateur se généralise jusque dans les milieux petits-bourgeois. La littérature pénètre donc comme jamais auparavant le corps social.

L’essor du roman est lié au développement de la vie privée et de la lecture personnelle : l’extension du lectorat féminin l’atteste, comme le beau développement de l’écriture féminine, dont témoignent de nombreuses figures de romancières, comme Marie-Jeanne Riccoboni (1713-1792), Claudine Alexandrine de Tencin (1682-1749), Françoise de Graffigny (1695-1758), Isabelle de Charrière (1740-1805), Adélaïde de Souza (1761-1836), Sophie Cottin (1770-1807), Julie von Krüdener (1764-1824), Germaine de Staël (1766-1817), Claire de Duras (1777-1828). Les femmes, exclues de certaines formes d’expression publique (très rares sont celles qui écrivent pour le théâtre ou qui s’expriment dans la presse, en dépit de l’existence du Journal des dames entre 1759 et 1777), trouvent dans la lecture privée des romans et dans l’écriture romanesque une ouverture possible. Sans doute une infime minorité d’entre elles tiennent-elles des salons « littéraires » – comme Madame Geoffrin, Madame du Deffand ou Julie de Lespinasse – mais elles sont absentes du parterre des théâtres, et la vie publique reste masculine.

Le souci d’indépendance de l’écrivain et du philosophe est au[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Médias

La Liseuse, J. H. Fragonard - crédits : courtesy National Galery of Art, Washington

La Liseuse, J. H. Fragonard

La Comédie italienne, A. Watteau - crédits : courtesy National Gallery of Art, Washington

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