FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.
Le théâtre : une liberté nouvelle
Encadré – et gêné – par le système du privilège, qui accordait à la Comédie-Française (ou Théâtre-Français) l a propriété de son répertoire et le droit exclusif de représenter à Paris le théâtre parlé, et a fortiori la tragédie et la haute comédie, et à l’Académie royale de musique celui de représenter le théâtre lyrique et de fixer des limites précises au Théâtre-Italien, le théâtre n’en connut pas moins une extraordinaire vitalité. Dès les dernières décennies du règne de Louis XIV, l’hégémonie de la cour s’affaiblit et c’est le public parisien qui impose son goût. Aux marges de trois théâtres privilégiés, des troupes se multiplient à la foire Saint-Germain et à la foire Saint-Laurent. Elles attirent assez rapidement des spectateurs nombreux, issus de milieux privilégiés ou « bourgeois » qui fréquentent aussi le Théâtre-Français, comme l’attestent les nombreuses parodies de tragédies qui y sont jouées. Leur ambition artistique s’y affirme et des auteurs excellents, comme Lesage (1668-1747), Fuzelier (1672 ?-1752), D’Orneval (mort en 1766), Piron (1689-1773) ou Pannard (1689-1765) ainsi que des compositeurs, comme Racot de Grandval, Michel Corrette ou Jean-Philippe Rameau, donnent naissance à un répertoire riche et inventif, mariant théâtre, musique et recherches décoratives. Deux genres dramatiques trouvent là leur plus grande illustration : la parodie dramatique et le vaudeville.
Dans la seconde moitié du siècle, les foires perdent de leur importance mais les théâtres situés sur les boulevards prennent le relais et jouent des farces et des comédies de toute espèce. Les types se renouvellent : Janot, Jocrisse (imaginés par Dorvigny), Jérome Pointu, Cadet Roussel s’imposent au détriment des types fixes comme le vieillard amoureux ou le soldat fanfaron. Le Théâtre-Italien, après une vingtaine d’années d’exil, renaît autour de Luigi Riccoboni, dit Lélio (1676-1753). Tout en perpétuant la tradition de la commedia dell’arte, en langue italienne, il fait appel à des auteurs français qui ont un immense talent, comme Delisle de La Drevetière (1682-1756), Jacques Autreau (1657-1747) et surtout Marivaux dont le génie s’accorde merveilleusement avec la troupe des Italiens : Marivaux est certes un esprit singulier, qui n’eut guère de successeur, sinon Musset, dans une certaine mesure seulement, mais ses premières créations ne se comprennent pas bien si l’on oublie ses acteurs, Silvia Balletti ou Thomassin, Arlequin génial (Arlequin poli par l’amour, La Surprise de l’amour, Le Jeu de l’amour et du hasard), et le contexte dramatique du Théâtre-Italien.
On a longtemps répété qu’il ne s’était rien passé d’important au Théâtre-Français entre Molière et Hugo. C’est une idée que les romantiques ont réussi à imposer contre toute vérité. En réalité, la tragédie, loin d’être morte, a attiré un public nombreux. Son répertoire s’est étendu à l’histoire nationale et à des formes nouvelles d’héroïsme. Crébillon père, Houdart de La Motte (Inès de Castro), Piron (Callisthène), Lemierre (Guillaume Tell, La Veuve du Malabar), Saurin (Spartacus) et surtout Voltaire (Zaïre, Alzire, Brutus) ont imaginé des situations émouvantes, adressées à la sensibilité de leurs contemporains. Assumant la philosophie, elle a donné aux conflits des idées la chair et les mots. Loin de rester enfermée dans les formules classiques, elle a trouvé des réalisations spectaculaires nouvelles : décor, costumes, musique parfois, avec de grands acteurs (Lekain, Talma) et actrices (mesdames Clairon, Dumesnil, Vestris). À la faveur de l’hégémonie progressive des idéologies sensualistes qui privilégient la connaissance expérimentale et sensible, la tragédie trouve sa légitimité dans la performance théâtrale (Sémiramis, La Veuve du Malabar) et[...]
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Écrit par
- Pierre FRANTZ : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Médias
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