FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.
Le roman, fiction et critique
L’expansion phénoménale du roman a ouvert au genre des voies très variées. Le goût pour le romanesque reste vif : dans ses Confessions, Rousseau avoue une passion durable pour L’Astrée. Il marque des œuvres de toute sorte, celles de l’abbé Prévost, de Claudine Alexandrine Guérin de Tencin, de Jean-Jacques Rousseau, de Sade, qui, dans son Idée sur les romans, l’inscrit au cœur du genre. Les romans d’aventure, de même, empruntent des formules variées : une sorte de picaresque chez Lesage Histoire deGil Blas de Santillane), le romanesque noir chez Prévost (Cleveland), le libertinage chez Crébillon fils, Duclos, Fougeret de Montbron ou Sade, le gothique anglais chez Ducray-Duminil et Sade. Toutes les espèces de roman en sont marquées peu ou prou. À vrai dire, si l’on peut tenter de proposer une typologie des romans, celle-ci ne saurait être rigoureuse : les fils se tressent avec des couleurs différentes. Comme le théâtre, le roman ne distingue pas la pensée et le pouvoir de l’imaginaire. On évoquera par exemple le conte, dans tous ses aspects ; contesmerveilleux pour enfants comme La Belle et la Bête de Mme Leprince de Beaumont ; contes orientaux comme les Mille et Une Nuits adaptés par Antoine Galland ou Les Mille et un Jours, traduits et adaptés par François Pétis de La Croix et Lesage ; contes philosophiques ou satiriques comme les célébrissimes contes de Voltaire ; contes moraux comme ceux de Diderot ou de Madame de Genlis ; contes érotiques de toutes sortes (Le Sultan Misapouf de Voisenon, Le Sopha de Crébillon). La France médiévale ressuscite dans Le Siège de Calais ou Les Mémoires du comte deComminge de Madame de Tencin.
Une autre veine est celle d’un roman marqué par le libertinage aristocratique, où l’on rencontre les œuvres de Crébillon fils (La Nuit et le Moment, Les Égarements du cœur et de l’esprit, Les Heureux Orphelins), de Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses), de Louvet de Couvray (Les Amours du chevalier de Faublas). Le pornographique et le philosophique se mêlent dans Thérèse philosophe, l’Histoire de Juliette de Sade, Félicia ou mes fredaines de Nerciat. Le roman se saisit d’ailleurs de la philosophie avec une étonnante variété. Le xviiie siècle voit, par exemple, se multiplier les utopies et voyages imaginaires : Séthos de Terrasson, les Voyages et aventures de Jacques Massé de Tyssot de Patot, La Découverte australe de Restif de La Bretonne, ou l’uchronie comme L’An 2440 de Louis Sébastien Mercier. Des épisodes utopiques ou allégoriques émaillent nombre de romans, comme la description de Salente ou de la Bétique dans Les Aventures de Télémaque de Fénelon, l’utopie de Tamoé et la dystopie de Butua dans Aline et Valcour de Sade, l’évocation de la vie à Clarens dans La Nouvelle Héloïse.
L’écriture romanesque adopte des stratégies formelles sophistiquées. Le roman épistolaire, qui connaît une grande faveur, permet la diversité des points de vue et leur confrontation. Comme dans l’écriture théâtrale, la lettre ne se contente pas « d’exprimer » le personnage ; elle agit sur les autres protagonistes, déclenche des réactions en chaîne, souvent selon des retards temporels complexes, comme on le voit dans Les Lettres persanes de Montesquieu ou dans Les Liaisons dangereuses. Parfois, c’est le point de vue même du scripteur qui devient énigmatique, supprimant l’hégémonie de l’auteur et imposant au lecteur un travail d’interprétation complexe : quelle est la signification morale des Liaisons dangereuses de Laclos ou des Heureux Orphelins de Crébillon ? Le roman qui, comme l’a rappelé Thomas Pavel, « pense » la morale, ouvre là un jeu sans fin. Le succès planétaire de La Nouvelle Héloïsetient aussi à cette problématisation de la philosophie morale de Rousseau.
Un roman comme La Vie de Marianne de Marivaux explore la distance de[...]
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Écrit par
- Pierre FRANTZ : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Médias
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