FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.
Naissance de l’intellectuel
Bien sûr, il serait illégitime d’annexer la littérature française du xviiie siècle aux Lumières, comme mouvement de pensée et comme ensemble de valeurs. Cependant, leur emprise est telle qu’elle la marque tout entière. La notion même de « Lumières » est si vaste et recouvre des aspects si variés que seules les pensées adverses peuvent en être vraiment exceptées. Encore pourrait-on dire que, parmi celles-ci, il en est qui ont été sourdement gagnées à l’adversaire : nombre d’argumentaires favorables à la religion catholique témoignent d’une présence forte de la rationalité nouvelle : un dom Calmet ne s’essaie-t-il pas à concilier un certain nombre de découvertes avec les révélations bibliques ? Les Lumières évoquent un ensemble de valeurs philosophiques en accord avec la philosophie rationaliste du siècle précédent : liberté de conscience, autonomie intellectuelle de l’individu, privilège accordé à la raison, à la science et à la connaissance, recherche et valorisation d’une vie sociale accordant à l’individu plus de liberté.
Les conceptions de l’homme sont au cœur d’une tension entre l’affirmation audacieuse de la liberté, dont l’expression la plus éclatante se lit chez Rousseau et chez Kant, et la conscience des déterminations qui l’en privent. Toute l’œuvre de Diderot explore ainsi le déterminisme physique qui place l’homme dans la nature. Les savants, comme Buffon, décrivent ou classent les animaux et les plantes. L’idée de nature, celle d’énergie sont au cœur de ces conceptions. Le « fatalisme » métaphysique, qui voudrait que le cours des choses échappe à la volonté humaine, ne débouche pourtant pas sur la passivité. Le déterminisme par l’éducation, souligné par Helvétius, ne prive pas l’homme de toute possibilité d’action libre. Les formes sociales et politiques sont considérées en effet comme relevant d’une institution humaine et non d’un ordre garanti religieusement : même lorsqu’ils prônent ou acceptent une forme d’absolutisme ou de « despotisme éclairé », les penseurs des Lumières (Voltaire, Diderot) se refusent à le fonder en Dieu, comme c’était le cas dans la France des Bourbons. De là l’importance d’approches fondées sur l’histoire et d’analyses qui s’appuient sur une observation des réalités au fondement des sociétés. De l’Esprit des lois de Montesquieu, les théories de l’abbé Dubos ou de Boulainvilliers, les grandes sommes historiques de Voltaire (Le Siècle de Louis XIV, l’Essai sur les mœurs) témoignent d’une pensée qui ne sépare pas la politique des mœurs et de ce qu’on appellera bien plus tard la civilisation. La pensée de Rousseau, qui fait retour à la nature, en amont de l’histoire (Discours sur les origines et les fondements de l’inégalité) ou qui reconstruit un ordre à partir d’une tabula rasa (Du contrat social), prend appui sur l’anthropologie plutôt que sur l’histoire. Mais c’est parce que celle-ci lui apparaît comme l’œuvre maléfique de l’homme. Les développements politiques de cette critique apparaissent notamment dans l’Histoire des deux Indes de l’abbé Guillaume-Thomas Raynal et Diderot, ouvrage qui connut un immense succès de librairie.
Ces thèmes innervent la littérature du xviiie siècle sous toutes ses formes, à telle enseigne que la figure du philosophe incarne l’écrivain et souvent aussi le « grand homme ». La popularité de Voltaire est immense dans l’Europe tout entière et l’Amérique du Nord. Elle concerne le poète autant que le penseur. À partir de 1763, date à laquelle Voltaire intervient dans le procès pour la réhabilitation de Jean Calas – qu'il contribue à transformer en « affaire Calas » – et publie le Traité sur la tolérance, plus d’un siècle avant l’affaire Dreyfus, il incarne la fonction même de ce qu’on appellera[...]
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Écrit par
- Pierre FRANTZ : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Médias
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