LITTÉRATURE La littérature comparée
Étude des sources et intertextualité
Roland Barthes a fait querelle à ce qu'il a appelé « la critique érudite » ou, pour simplifier, « universitaire », de « rester encore pour l'essentiel fidèle à l'idée (organique, et non structurale) de genèse », de croire à l'existence d'un rapport « causal » et de considérer l'œuvre comme « un produit ». Ainsi se trouve posé le problème des sources, ou des influences.
Il est essentiel en littérature comparée, mais on parle plus volontiers, aujourd'hui, d'intertextualité. « Influence », qui devrait suggérer un état de liquidité, un magnétisme subtil, désigne trop souvent pour nous le mécanisme par lequel une œuvre en génère une autre. Il y aurait beaucoup à dire sur ce prétendu déterminisme dont la critique scientiste a fait, il est vrai, un usage parfois intempérant. Il semble nécessaire de distinguer des cas différents avant de se prononcer sur cette question.
Des influences avouées
Jean-Sébastien Bach n'hésitait pas à publier sous son nom des transcriptions de concertos de Vivaldi. De même, l'œuvre littéraire n'était pas autrefois considérée comme une chasse gardée (d'où les problèmes d'attribution parfois si difficiles pour les pièces du théâtre élisabéthain ou du théâtre espagnol du Siècle d'or). L'influence a donc pu aller parfois jusqu'au plagiat. Lesage en a été maintes fois accusé, plutôt injustement s'il s'agit de son roman Gil Blas de Santillane (1715-1735). Il n'est pas d'exemple plus significatif à cet égard que la littérature de la Renaissance. Pour un Montaigne qui cite ses sources dans le génial centon de citations que sont les Essais, combien d'autres qui ne les citent pas ! Il en est ainsi de Joachim du Bellay quand il s'inspire du Canzoniere de Pétrarque dans son recueil L'Olive.
Ce qui est vrai d'une littérature jeune (comme la littérature de la Pléiade) l'est aussi d'un poète jeune. Mais il convient de n'être pas dupe des apparences. On pourrait penser qu'un commentaire de l'« Ophélie » de Rimbaud par Hamlet s'impose. Le collégien de Charleville, qui n'avait pas appris l'anglais en classe, mais l'allemand, pouvait-il lire Shakespeare dans le texte ? Le fait que le poème ait d'abord été écrit en latin ne suffit-il pas à justifier la graphie Ophelia ? D'ailleurs, François-Victor Hugo n'utilisait-il pas cette graphie dans sa traduction de Hamlet ? Cette Ophélie qui flotte comme un grand lys ne rappelle-t-elle pas plutôt le tableau de Millais ? Et ce Hamlet en « beau cavalier pâle », n'est-ce pas plutôt chez Théodore de Banville qu'il faut le chercher, – Banville, le maître du Parnasse à qui Rimbaud envoie son poème, avec deux autres, le 24 mai 1870, avec l'espoir de lui plaire et d'être publié ?
Les poètes les plus modernes, les poètes les plus sûrs de leur art ne refusent pas les influences. Ezra Pound, dans une importante lettre à René Taupin (1928), ne nie pas celles qui se sont exercées sur lui, distinguant les influences subies, acceptées (Flaubert), et les influences consciemment recherchées, qui ont valeur de libération et de provocation (Laforgue).
Des influences cachées
Mais l'écrivain est rarement aussi explicite. Le commentateur s'emploie à chercher des sources au texte qu'il étudie. Pour la plus grande surprise de l'auteur, parfois. Ainsi Claudel découvre-t-il en avril 1928 un article « qui montre les parentés indéniables » de l'Otage avec Une ténébreuse affaire de Balzac. La fin du Père humilié est visiblement inspirée par un poème narratif de John Keats : « Isabella or the pot of basil ».
La plus grande prudence s'impose à qui veut conclure d'une analogie à une influence. Le respect rigoureux[...]
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Écrit par
- Pierre BRUNEL : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques
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