LITTÉRATURE NUMÉRIQUE
Une littérature en mouvement
Depuis l’apparition des écrans graphiques pour les ordinateurs, la littérature numérique ne s’attache plus seulement à la génération automatique des énoncés, mais s’intéresse aussi à leur affichage dynamique. Le mouvement des lettres et des mots est exploré par les auteurs comme une matière signifiante à part entière qui s’ajoute aux expérimentations typographiques et spatialistes déjà menées par la poésie visuelle, concrète et lettriste, dont se revendiquent les premiers auteurs de textes animés en France, en Allemagne et au Brésil.
Dès 1989, Philippe Bootz crée Alire, première revue poétique entièrement numérique, qui accueille des auteurs comme Philippe Castellin, Patrick Burgaud et Tibor Papp. Si l’espace de la page a toujours été pour les poètes le lieu où les mots s’offrent au regard autant qu’à l’entendement, l’espace de l’écran y ajoute une dimension dynamique inconnue jusqu’alors. Désormais libéré de la fixité de la page imprimée, le texte apparaît et disparaît, se métamorphose, se déplace, réagit parfois aux gestes de manipulation du lecteur. Interactivité, temporalité de l’affichage, hybridation avec des sons qui semblent entrer en synesthésie avec le mouvement, telles sont les qualités de ces nouvelles formes de textualité.
Brian Kim Stefans propose dans The Dreamlife of Lettersune expérimentation impressionnante des possibles de l’animation textuelle : lettres et mots s’associent au mouvement pour former de nouvelles figures, calligrammes, métonymies et métaphores animés. Dans Softiesde David Jhave Johnston, les lettres du mot understanding s’étirent jusqu’aux limites du supportable, rendant sensibles les écueils et limites de la compréhension humaine.
La poésie animée n’existe plus comme trace écrite, mais plutôt comme performance. D’une part, elle s’inscrit dans une temporalité programmée. D’autre part, elle est solidaire d’un dispositif qui la rend particulièrement sensible à l’éphémère technologique ; Philippe Bootz propose dans la Série des U une méditation poétique sur cette labilité. Enfin, la poésie animée a rapidement conquis la scène. Rejoignant les arts du spectacle, elle se produit devant un public en salle, assumant pleinement le passage de l’instant présent.
En s’éloignant de la logosphère pour se rapprocher de la vidéosphère chère à Régis Debray, la poésie numérique s’ouvre aux artistes plasticiens multimédias. Expression de cette richesse et de cette variété, le festival E-poetry et le congrès de l’Electronic Literature Organization rassemblent chaque année des auteurs du monde entier.
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Écrit par
- Jean CLÉMENT : professeur agrégé de lettres modernes, détaché à l'université de Paris-VIII
- Alexandra SAEMMER : professeur des Universités en sciences de l'information et de la communication, université de Paris-VIII
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