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LITTÉRATURE NUMÉRIQUE

Une littérature hypertextuelle

En publiant, en 1987, Afternoon, a Story, première hyperfiction distribuée sur disquette, Michael Joyce a inauguré un nouveau genre fondé sur la technique de l’hypertexte. Imaginée dès 1965 par Ted Nelson, cette technique est aujourd’hui indissociable de la lecture sur le Web. À l’ordre fixe des pages imposé par le livre se substitue une organisation du texte qui peut être parcouru de multiples façons en cliquant sur les liens. Cette possibilité offerte au lecteur était censée faire de lui un acteur dans la production des énoncés proposés à sa lecture. Comme l’ont montré le sémioticien Umberto Eco et les théoriciens de l’esthétique de la réception Wolfgang Iser et Hans Robert Jauss, tout lecteur d’un livre papier concourt par sa lecture à la production du sens. Mais, dans l’hypertexte, l’activité de lecture, par le biais des liens hypertextuels, gouverne l’ordre dans lequel le texte apparaît à l’écran. Les premiers expérimentateurs comme Michael Joyce et Mark Amerika, et des théoriciens comme George P. Landow et Jay David Bolter ont rapproché l’hypertexte littéraire d’un mouvement tel que le nouveau roman.

L’imaginaire non séquentiel de l’hypertexte s’est trouvé opposé à la séquentialité du livre papier. Les auteurs le mobilisaient pour donner corps à leur refus de la clôture et des enchaînements chronologiques et causaux propres au roman traditionnel. L’hypertexte s’est trouvé associé à une logique de fractionnement. La désorientation cognitive potentiellement provoquée par la lecture d’un récit hypertexte s’en est trouvée valorisée. Dans la littérature hypertextuelle et programmée, le refus de toute imposition d’un sens peut être aussi, dans certains cas, le signe d’une contestation de l’ordre institué par la tradition littéraire et par la langue elle-même. L’ hyperfiction des années 1990-2000, aux États-Unis et en France, favorisait ainsi une écriture fragmentaire, elliptique, induisant des pratiques de lecture erratiques et non immersives.

Il suffit pourtant de se souvenir que l’hyperlien est avant tout inséré par un auteur pour refléter son point de vue concernant la cohérence entre deux ou plusieurs textes, pour comprendre que l’hyperfiction peut aussi modéliser des parcours de lecture en fonction de chronologies plus linéaires. L’hyperfiction allemande Zeitfür die Bombe de Susanne Berkenheger (1997) est un polar haletant, où l’hyperlien permet au lecteur de découvrir le point de vue de plusieurs personnages sur le même événement, de pratiquer des retours en arrière ou des sauts par rapport à l’axe temporel du récit, ou encore de découvrir ce qui se passe au même moment à des endroits différents. Le lecteur qui explore l’intégralité du récit est en mesure de situer les événements dans une chronologie cohérente – à quelques exceptions près.

La littérature hypertextuelle française connaît une seconde naissance via la liseuse et la tablette. Si Juliette Mézenc poursuit dans son récit Poreuse la tradition de l’hyperfiction labyrinthique, François Bon explore sur son site-blog tierslivre.net le potentiel narratif et poétique de l’hyperlien. Des éditeurs expérimentaux comme l’Apprimerie, spécialisée dans la production de fictions pour tablette, proposent une remédiatisation du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne en rendant le texte animé et touchable, lui associant une panoplie de gestes qui dépassent le simple clic et rapprochent ces formes littéraires des expérimentations du jeu vidéo.

Certaines hyperfictions francophones historiques ont été publiées sur le Web (le Récit des 3 Espaces de Carole Lipsyc, 2007). D’autres ont été distribuées sur CD-ROM (Pause de François Coulon, Moments de Jean-Jacques Rousseau de Raymond Bellour et Jean-Louis Boissier), d’autres encore sont éditées et parfois commercialisés sous forme[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé de lettres modernes, détaché à l'université de Paris-VIII
  • : professeur des Universités en sciences de l'information et de la communication, université de Paris-VIII

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