SOVIÉTIQUE LITTÉRATURE PAYSANNE
En remettant la terre au paysan, la révolution d'Octobre avait enlevé sa raison d'être à une tradition plus que séculaire des lettres russes : la défense du moujik. La collectivisation aggrave la rupture : à peu d'exceptions près (la première partie de Terres défrichées de Cholokhov, la poésie de Tvardovski), la littérature « kolkhozienne » est de grossière propagande.
Mais la révélation officielle, dans les mois qui suivent la mort de Staline, de la misère des campagnes renoue le fil d'une littérature paysanne qui, en réaction contre les églogues moralisantes, dit la peine des hommes et cherche les racines du mal. Valentin Ovietchkine fait figure de précurseur avec les Journées d'un district, œuvre commencée dès 1952 et achevée en 1956. D'autres essais reprennent ce thème et le développent : Les Carnets d'un agronome (1953) de Troïépolski, Sur les chemins de Vladimir (1957) de Solooukhine, Ce Nord maudit (1964) de Kazakov, et la grande enquête des Carnets paysans publiée par Ephim Doroch dans la revue Novy Mir de 1954 à 1970. Au cours de cette période, les romanciers peignent d'abord la situation misérable, proche du servage, qu'ont connue les paysans sous Staline et jusqu'à la fin des années 1950. Ce sont, après La Maison de Matriona (1963) de Soljénitsyne qui est l'archétype du genre, Le Garde à cheval (1966) de Nossov, Dans la vie de Fédor Kouzkine (1966) de Mojaïev, Deux Hivers et trois étés et Chronique de Pékachino (1968-1973) d'Abramov. Et surtout Affaire d'habitude (1967) de Belov, un des meilleurs romans des années 1960-1970, qui a soulevé des discussions passionnées sur la culture paysanne, la place des traditions, l'homme naturel et l'homme social.
Dans la période suivante, de nouveaux noms apparaissent, et les thèmes abordés vont s'élargir. Reculant dans le temps, les écrivains s'attaquent à la source même de ce qu'ils définissent comme une disparition du paysan et de sa culture : la collectivisation. Après Au bord de l'Irtych (1964) de Zalyguine viennent Les Veilles (1972) de Belov (complété en 1989 par Tout est devant nous), Hommes et femmes (1976) de Mojaïev, Kassian d'hiver (1981) de I. Akoulov. Les meilleurs d'entre eux donnent une vision véridique de la catastrophe qu'a été la collectivisation pour la paysannerie.
D'autres auteurs considèrent la situation contemporaine : La Maison (1978) d'Abramov montre les campagnes désertées, les récits de Belov et de Choukchine décrivent l'acculturation des paysans urbanisés. Des auteurs comme V. Astafiev dans Le Poisson-roi (1976), V. Raspoutine dans Matouchka (1970) et surtout L'Adieu à l'île (1976) se détachent de la peinture de mœurs pour tendre vers le roman philosophique : disparition des valeurs traditionnelles et responsabilité morale chez Raspoutine, place de l'homme dans la nature chez Astafiev. Cela n'empêche pas Belov de donner dans Accord (1979-1981) une description passionnante, quasi ethnographique, des formes de vie paysannes.
Ce courant, que la critique littéraire soviétique appelle « paysannier », rassemble des tendances assez divergentes. Au début, chez un Ovietchkine, par exemple, il ne s'agit que d'une critique des abus administratifs. Très vite, pourtant, la littérature paysanne cherche à retrouver la mémoire du passé, effort qui est l'un des traits dominants de la littérature d'après Staline. Remontant aux sources historiques, elle se trouve ainsi amenée à mettre l'accent sur les valeurs morales attachées à ce qu'un des plus grands essayistes paysans du xixe siècle, Gleb Ouspienski, nommait « la puissance de la terre » : valeurs de patience chez Biélov, ou de révolte chez Mojaïev. Dans les Carnets de Doroch, la vision reste laïque mais souligne le rôle civilisateur[...]
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Écrit par
- Jean CATHALA : journaliste
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