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JEUNESSE LITTÉRATURE POUR LA

Michel Tournier - crédits : Rapahel Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Michel Tournier

Ancrée dans une société dont le multiculturalisme s'est accentué, où la parole des enfants de l'immigration résonne dans le concert des voix de la République, comme celle d'Azouz Begag avec Le Gone du Chaâba (1986), la littérature pour la jeunesse en France s'est largement ouverte au monde. C'est de Vendredi que le Robinson de Michel Tournier, Grand Prix de l'Académie française en 1967 pour Vendredi ou les limbes du Pacifique, reçoit ses leçons dans Vendredi ou la vie sauvage (1971). Cette version pour enfants est devenue un classique, c'est-à-dire un livre reconnu à la fois par le goût des jeunes lecteurs et les instances de légitimation, et résistant à l'usure d'un style. L'écriture, dans ce secteur éditorial, s'amplifie des rappels du génocide de la Seconde Guerre mondiale, comme dans Une vieille histoire de Susie Morgenstern (1985), des retours stylistiques de la francophonie, comme dans Émerveilles (1998) de l'Antillais Patrick Chamoiseau, des interrogations du bilinguisme de Nouvelle-Calédonie dans Têa Kanaké, l'homme aux cinq vies/Téâ Kanaké, i pwi âboro nä caa Kärä î-jè wâro kê de Denis Pourawa et Éric Mouchonnière (2003), qui raconte un mythe fondateur kanak, et d'un large éventail de traductions qui viennent diversifier un patrimoine en pleine évolution. Elle entretient des rapports complexes avec la littérature générale et avec une littérature strictement scolaire, mais semble transformer les fonctions traditionnellement assignées par la relation parents-enfants, qui sont d'instruire en amusant des êtres en formation et en devenir, l'accent étant mis tantôt sur l'instruction et tantôt sur le divertissement. Ces fonctions, qui s'exercent souvent à travers les collections, se sont singulièrement élargies, à l'image du statut de l'enfant et du lecteur auquel elles s'adressent : elles concernent l'art autant que la morale, et travaillent à l'autonomie des futurs citoyens, dont le sens critique et les qualités littéraires sont développés par des écrivains, artistes et éditeurs de plus en plus proches et conscients des spécificités de leur profession.

Perrault et nous : les « enfants de la vidéosphère »

La lecture de loisir des enfants s'est longtemps limitée, dans la galaxie Gutenberg, à celle des fables d'Ésope, des exempla chrétiens, des histoires tirées de la Bible et des récits de chevalerie. Mais c'est Charles Perrault, qui, dans la Préface de ses Contes en vers de 1695, précisait que les pièces de son recueil n'étaient pas des « bagatelles ». Pour lui, « le récit enjoué dont elles étaient enveloppées, n'avait été choisi que pour les faire entrer plus agréablement dans l'esprit et d'une manière qui instruisît et divertît tout ensemble ». Mieux, il les présentait « à des pères et des mères » comme le moyen le plus sûr, « lorsque leurs enfants ne sont pas encore capables de goûter les vérités solides et dénuées de tous agréments, de les leur faire aimer et si cela se peut dire, de les leur faire avaler ».

Perrault s'adressait aux beaux esprits de la société de cour, aristocratie et haute bourgeoisie, et aux femmes en particulier : en mettant en scène sa Belle au Bois Dormant, les princesses de Riquet à la Houppe ou son Marquis de Carabas, il pensait aussi offrir aux jeunes lecteurs des récits « proportionnés à la faiblesse de leur âge ». À cette relation autoritaire s'oppose de plus en plus, en ce début du xxie siècle, une approche plus libre de la culture de l'écrit par les enfants formés dans les écoles et les bibliothèques, ainsi que par une communication entre les pairs, mise en évidence par David Riesman dans La Foule solitaire dès les années 1950. Cette relation assure le succès d'une œuvre, parfois contre le goût des[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Paris-XIII, président fondateur de l'Institut international Charles-Perrault

Classification

Médias

Michel Tournier - crédits : Rapahel Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Michel Tournier

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

Lewis Carroll - crédits : Lewis Carroll/ Hulton Archive/ Getty Images

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