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LITTÉRATURE Sociologie de la littérature

La sociologie de la littérature se donne pour objet d'étudier le fait littéraire comme fait social. Cela implique une double interrogation : sur la littérature comme phénomène social, dont participent nombre d'institutions et d'individus qui produisent, consomment, jugent les œuvres, et sur l'inscription des représentations d'une époque et des enjeux sociaux en leur sein. Cette double interrogation induit, sur le plan méthodologique, une tension entre analyse externe et analyse interne des textes, tension qui traverse la sociologie de la littérature depuis ses origines.

Littérature et sociologie

Entre littérature et sociologie, il y a toujours eu des relations de conflit, de concurrence, mais aussi d'échange et d'imprégnation réciproque. La sociologie, en France notamment, s'est en effet fondée à la fin du xixe siècle comme discipline en adoptant des méthodes d'investigation scientifiques. Ce faisant, elle n'a pas manqué d'irriter les défenseurs des humanités, sur lesquels reposait la tradition littéraire. Cet affrontement traduit aussi la concurrence entre écrivains et sociologues pour le monopole sur le discours social légitime. Des grandes fresques sociales de Balzac et de Flaubert aux études naturalistes de milieux par Zola et son école, la tradition réaliste s'était attachée depuis la fin du xviiie siècle à la description des mœurs de différents milieux sociaux (de l'aristocratie aux bas-fonds en passant par la bourgeoisie), professionnels (journalistique, médical, boursier, etc.), d'institutions comme le mariage, la famille, l'école, des transformations de la société et de la mobilité sociale (ascension, déclin). Or la spécialisation de la sociologie comme science à la fin du xixe siècle et son institutionnalisation comme discipline universitaire en France autour de Durkheim a dépossédé les écrivains d'un de leurs domaines de compétence. Qui plus est, si elle ne se penchera sur la littérature que beaucoup plus tard, cette nouvelle science a d'emblée pris l'art comme objet d'étude, ainsi qu'en témoigne l'ouvrage de Jean-Marie Guyau, L'Art au point de vue sociologique (1889).

La réflexion sur la littérature comme phénomène social est cependant antérieure. Elle remonte à Montesquieu avec L'Esprit des lois (1748) et à Germaine de Staël avec De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), dont Hyppolite Taine a mis en œuvre le programme dans son Histoire de la littérature anglaise (1885). Si c'est à la méthode historique que fait appel la critique littéraire universitaire – qui s'institutionnalise en même temps que la sociologie, avec la création de la Nouvelle Sorbonne en 1896 –, son principal représentant, Gustave Lanson, n'en a pas moins élaboré, à l'occasion d'une conférence donnée en 1904 sur les rapports entre l'histoire littéraire et la sociologie, un véritable projet de sociologie de la littérature conçue comme fait social. Cet ambitieux projet, qui eut peu d'échos, comprenait les effets de la situation politique sur les œuvres, la circulation internationale des modèles littéraires, la cristallisation des genres en relation avec le goût du public, la corrélation des formes et des fins esthétiques, les conditions sociales d'apparition des chefs-d'œuvre et l'impact du livre sur le public.

À partir des années 1910, les formalistes russes développent une approche socio-historique des œuvres qui s'intéresse à la construction d'un canon littéraire, aux principes de hiérarchisation des textes et à leurs effets, en particulier celui de « dé-automatisation » ou « dé-familiarisation », en quoi ils décèlent la spécificité de la littérature. Ces travaux ne seront connus en France que dans la seconde moitié du [...]

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Écrit par

  • : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directrice de recherche au C.N.R.S.

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Pierre Bergounioux - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

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