LITTÉRATURE Sociologie de la littérature
Le littéraire et le social
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les études littéraires connaissent un profond renouvellement, avec le New Criticism et le structuralisme, qui opposent à l'histoire littéraire des méthodes d'analyse interne du texte, proclamé autonome. Parallèlement se développent des approches sociologiques des phénomènes littéraires, qui s'intéressent aux conditions sociales de production. À une époque où le lancement du livre de poche accélère l'industrialisation de l'édition, Robert Escarpit, auteur d'un Que sais-je ? sur la Sociologie de la littérature publié en 1958, et fondateur en 1960 du Centre de sociologie des faits littéraires à l'université de Bordeaux, met en place des enquêtes quantitatives sur les processus de production et de consommation du livre pris dans leur dimension économique. La littérature ne se définit pas, selon lui, par des critères internes à l'œuvre mais par son usage non utilitaire.
Cette approche positiviste ne permet cependant pas de rendre compte de la spécificité de la littérature comme activité sociale. Elle est représentative de l'analyse externe, qui tend à réduire les œuvres à leurs conditions matérielles de production et de réception, qu'il s'agisse de la biographie, de la sociologie et de l'histoire, au mépris des logiques propres aux univers de production symbolique. L'analyse interne, représentée par le New Criticism et le structuralisme, se focalise de son côté sur le déchiffrement, plutôt que sur l'acte créateur. Elle rapporte la structure des œuvres soit à des catégories de perception universelles, qui constituent la « langue » ou la « structure profonde » à la façon des modèles linguistique de Ferdinand de Saussure ou de Noam Chomsky, soit à une histoire des genres ou des formes symboliques, mais c'est une histoire désincarnée, dont les producteurs sont absents. Alors que l'analyse interne s'intéresse à la structure des œuvres, l'analyse externe insiste plutôt sur leur fonction sociale.
Les tentatives pour dépasser ce clivage ont centré leur interrogation sur les médiations entre l'œuvre et ses conditions de production. Cette problématique s'est développée notamment dans le cadre de la pensée marxiste. À l'opposé du présupposé d'une indétermination sociale des œuvres d'art, expression de l'idéologie romantique du « créateur incréé », ainsi que des approches formalistes ou purement textuelles de la littérature, l'approche marxiste fait valoir que la littérature est une activité sociale qui a partie liée avec un système de valeurs, une vision du monde. À l'instar de la religion, elle participe de la superstructure, qui reflète les rapports de production. Apparue d'emblée comme réductrice, la théorie du reflet a donné lieu à une riche réflexion sur l'autonomie des œuvres par rapport aux conditions sociales et sur celle des médiations.
Du point de vue de son objet et de sa méthode, la sociologie de la littérature marxiste emprunte cependant deux voies distinctes : l'une, centrée sur l'analyse des œuvres, interroge, à la suite du critique hongrois György Lukács – auteur de L'Âme et les formes (1911), La Théorie du roman (1920), Balzac et le réalisme français (1945), Le Roman historique (1937) –, les rapports entre les formes littéraires et les situations sociales où elles sont nées, rapports médiatisés par la conscience collective ; l'autre, qui se fait jour dans les Cahiers de prison d'Antonio Gramsci et prend corps avec l'Histoire sociale de l'art et de la littérature d'Arnold Hauser (1953), porte sur les conditions sociales de la production et de la réception des œuvres ; elle sera développé par les fondateurs des cultural studies.
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Écrit par
- Gisèle SAPIRO : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directrice de recherche au C.N.R.S.
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