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LITTÉRATURE Sociologie de la littérature

Réception des œuvres

La signification d'une œuvre n'est pas réductible à l'intention de l'auteur. Elle résulte en partie de sa position même dans un espace des possibles et dans un espace réel et objectivement structuré de productions symboliques, ainsi que des appropriations qui en sont faites, du sens qui lui est donné, et des tentatives d'annexion dont elle est l'objet.

Contre l'herméneutique anhistorique d'un côté, mais aussi contre l'histoire littéraire positiviste et la théorie du reflet marxiste de l'autre, Hans-Robert Jauss a prôné une histoire littéraire antipositiviste fondée sur une approche de la réception conçue comme l'histoire des effets produits par les œuvres. Le concept clé est celui d'« horizon d'attente » que Jauss emprunte à Husserl, Mannheim et à Popper pour l'appliquer aux phénomènes littéraires. Le procès de Madame Bovary montre, selon lui, qu'une « forme esthétique nouvelle peut entraîner aussi des conséquences d'ordre moral ». Cette forme nouvelle est le principe de la narration impersonnelle qui, associée au procédé stylistique du discours indirect libre, induit une erreur d'interprétation de la part du ministère public, due à une confusion entre l'auteur et son personnage.

Selon Jauss, l'étude de l'horizon d'attente peut se faire par une analyse interne des œuvres. Mais, à l'instar de la production, la réception est un processus médiatisé : les modalités matérielles ou intellectuelles de présentation des œuvres, l'accueil qui leur est réservé par les critiques, les modes d'appropriation par les différents publics en fonction de leurs propriétés sociales, autant d'aspects de la réception qui formaient le programme initial des cultural studies et qui est devenu celui de la sociologie de la littérature. Depuis les études pionnières de Richard Hoggart dans les années 1950 sur les lectures populaires et de Pierre Bourdieu sur le public des musées, les études de réception par les publics se sont beaucoup développées, passant de l'interrogation sur les modalités d'appropriation des œuvres à l'étude de leur interprétation à partir des correspondances d'écrivains et à celle des trajectoires de lecteurs.

Cette réception est médiatisée par les modalités de la publication et de la diffusion. Le paratexte (Préface, Postface), le support (presse, article dans une revue spécialisée, brochure, livre), la place et l'environnement dans le support (dans la page de journal ou la collection), tous ces éléments de la publication conditionnent le processus de réception. Une Préface peut orienter la réception de l'œuvre indépendamment des intentions de l'auteur : ainsi Sartre annexant Portrait d'un inconnu (1948) de Nathalie Sarraute à la littérature existentialiste.

La réception de l'œuvre est inséparable de l'évaluation qui en est faite. La sociologie de la littérature doit prendre pour objet les modes de hiérarchisation de cet espace à travers la sélection qu'opèrent les classements réalisés par la critique, la presse, la diffusion et les modes de consécration divers : chiffres de vente, succès critique, consécration institutionnelle, prix littéraires. Ces principes peuvent être contradictoires : en France, depuis le milieu du xixe siècle, les succès de vente sont rarement compatibles avec la reconnaissance par les pairs, le succès auprès du grand public étant suspecté d'être le fruit de compromis voire de compromission, et donc étant perçu comme un signe d'hétéronomie.

La critique, dont l'existence témoigne d'un certain degré d'autonomisation de l'activité littéraire, constitue une des médiations majeures dans le processus de réception des œuvres (hormis pour la littérature dite populaire). Elle est une des principales[...]

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Écrit par

  • : directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, directrice de recherche au C.N.R.S.

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Pierre Bergounioux - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

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